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DU BUDDHISME INDIEN.


était poète. La Brâhmaṇî sa femme lui dit un jour : Voici le temps froid arrivé ; va dire au roi quelque chose qui lui soit agréable, afin d’en obtenir de quoi nous garantir contre le froid. Le Brâhmane partit en effet dans ce dessein, et trouva le roi qui sortait monté sur son éléphant. Le poète se dit en lui-même : Qui des deux louerai-je, du roi ou de son éléphant ? Puis il ajouta : Cet éléphant est cher et agréable au peuple ; laissons là le roi, je vais chanter l’éléphant[1]. » Et il prononce en l’honneur de ce digne animal une stance dont le roi est si satisfait qu’il accorde au Brâhmane la propriété de cinq villages.

Quelques-uns font le métier d’astrologues, et prédisent l’avenir des enfants d’après le thème de leur nativité[2] ; ce sont même des Brâhmanes qui assistent à la naissance de Siddhârta, fils de Çuddhôdana[3], et c’est un grand Rĭchi, nommé Asita, qui prédit au roi que son fils sera ou un monarque souverain, ou un Buddha bienheureux[4] ; tant il est vrai que les Buddhistes reconnaissent de la manière la plus formelle l’antériorité de la caste brâhmanique à l’égard du fondateur même de leur croyance, de Çâkyamuni Buddha. Quelques Brâhmanes, dans les temps de détresse, se livrent à l’agriculture et mènent la charrue[5]. Enfin on en voit un grand nombre qui, semblables aux Religieux buddhistes et à d’autres mendiants, soutiennent leur vie au moyen des aumônes qui leur sont distribuées par les chefs de famille[6].

Il est impossible de ne pas reconnaître à ces traits la caste brâhmanique telle que la décrit la loi de Manu ; mais ces traits, qui dans le résumé que je viens d’en faire sont décharnés et sans vie, forment avec les détails variés qui les accompagnent dans les Sûtras un tableau animé de la première des castes indiennes. Il n’est pas permis de douter que, de l’aveu des Buddhistes eux-mêmes, cette caste n’ait été constituée avec ses prérogatives et sa puissance, avant que Çâkyamuni n’ait commencé à répandre dans l’Inde ses doctrines de réforme. Aux témoignages allégués tout à l’heure en faveur de cette

  1. Stuti Brâhmaṇa, ibid., f. 35.
  2. Rûpavatî, ibid., f. 214 a. Lêkuñtchika, dans Avad. çat., f. 234 a.
  3. Lalita vistara, f. 56 a et 57 a de mon man. Divya avadâna, f. 193 a.
  4. Lalita vistara, f. 58 a sqq. de mon man. Je ne doute pas que cet Asita ne soit le sage Brâhmane dont Fa hian parle et qu’il nomme A i. (Foe koue ki, p. 198, et Klaproth, ibid., p. 208 sqq.) Sans le Lalitla vistara, il eût été bien difficile de retrouver sous la transcription chinoise A i le sanscrit Asita. On connaît, dans les listes d’anciens sages brâhmaniques, un Rĭchi du nom d’Asita ; mais outre que je n’ai jusqu’ici trouvé aucun renseignement qui nous le fasse positivement connaître, je suis hors d’état d’affirmer si c’est le même que celui dont parlent les Buddhistes. Je rencontre seulement son nom dans le Bhâgavata Purâṇa. (L. VI, ch. XV, st. 12 a.) Il n’est pas non plus probable que l’Asita cité par le Lalita vistara soit le génie qui, selon les Brâhmanes, préside à la planète Saturne.
  5. Indra Brâhmaṇa, dans Div. avad., f. 36 a.
  6. Kôṭikarṇa, ibid., f. 7 a.