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XX
NOTICE SUR LES TRAVAUX DE M. EUGÈNE BURNOUF.

très-différentes ; et bien que le fond commun qui leur est imposé et qu’ils conservent soit toujours fort ancien, quelques-uns d’entre eux sont récents. Le Bhâgavata-Pourâna, en particulier, passe pour le dernier de tous, et il ne remonte pas au delà du xiiie siècle de notre ère ; on l’attribue avec beaucoup de vraisemblance au grammairien Vopadéva, connu par plusieurs autres ouvrages célèbres et entre autres par la grammaire intitulée Mougdhabodha.

Pour des esprits européens, la lecture du Bhâgavata-Pourâna est aussi fastidieuse que la pensée en est confuse. La traduction de M. Eugène Burnouf, admirable de fidélité et de clarté, n’a pu effacer les défauts de l’original ; je dirais presque qu’elle les fait encore ressortir davantage. Il ne faudrait pas cependant que notre goût s’offensât trop vivement de ces défauts ; ce n’est pas pour nous que le livre a été fait ; et comme le Bhâgavata-Pourâna, venu le plus tard en date, résumait en quelque sorte toutes ces épopées cosmogoniques de l’Inde, il était peut-être encore le plus intéressant pour nous. Mais pourquoi M. Eugène Burnouf a-t-il choisi un Pourâna pour le faire entrer dans la grande Collection orientale ? Pourquoi n’a-t-il pas préféré des monuments d’un bien autre intérêt et d’une tout autre importance dans la littérature indienne ? les Védas, par exemple, le Mahâbhârata, le Râmâyana ? C’est là une question que j’ai souvent entendu faire, et que je me serais faite à moi-même si mes relations avec M. Eugène Burnouf ne m’eussent dès longtemps appris sa réponse. À l’époque où il entreprit la publication du Bâghavata-Pourâna, Fr. Rosen allait publier les Védas ; M. Schlegel donnait le Râmâyana, que M. l’abbé Gorrezio, un des élèves les plus distingués de M. Burnouf, a publié d’une manière supérieure avec une traduction italienne ; M. Bopp annonçait la traduction du Mahâbhârata. M. Eugène Burnouf, par un scrupule qui l’honore, ne voulut pas empiéter sur ce qui lui semblait le domaine d’autrui ; et voilà comment il fut amené à subir le Bhâgavata-Pourâna.

Le choix est peut-être d’autant plus regrettable que, si j’en excepte l’œuvre si remarquable de M. l’abbé Gorrezio, les autres entreprises annoncées ou n’ont point paru, ou n’ont paru que partiellement ; la place que M. Eugène Burnouf ne voulut point occuper n’a pas été remplie par d’autres, comme le craignait sa délicatesse. J’ajoute que les regrets doivent encore s’accroître quand on voit le labeur prodigieux que l’auteur a donné à ces trois volumes. Le texte, inédit en France, a été collationné sur de nombreux manuscrits et sur les éditions indiennes avec un soin qui, pour ainsi dire, n’a laissé échapper aucune erreur. La traduction, fort difficile à cause de la bizarrerie des idées et de la diversité presque infinie du style, est à l’abri de toute critique ; et comme il m’a été possible de voir personnellement à quel prix M. Eugène Burnouf obtenait tant de correction et d’exactitude, je puis dire, en laissant de côté le fond même de l’ouvrage, que les scrupules du philologue et de l’homme de goût ne pourront pas être poussés plus loin. Par exemple, M. Eugène Burnouf avait pris la peine de scander et de vérifier un à un les dix-huit mille vers à peu près qui remplissent ces trois volumes. J’ai vu toute cette métrique notée de