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DU BUDDHISME INDIEN.

augure que ce Çramana rasé que je viens de voir. Puis ayant ainsi réfléchi, il banda son arc de toute sa force, et courut vers l’endroit où se trouvait Pûrṇa. Dès que le respectable Pûrṇa le vit, il rejeta son vêtement supérieur et lui dit : Toi dont le visage annonce la bonté, je viens pour accomplir ce difficile sacrifice ; frappe ici. Et il récita cette stance :

Cette fin pour laquelle les oiseaux traversent les airs, pour laquelle les animaux sauvages tombent dans les piéges, pour laquelle les hommes périssent incessamment dans les combats, frappés par la flèche ou par la lance, pour laquelle les malheureux poissons affamés dévorent l’hameçon de fer ; cette fin, c’est pour elle qu’au milieu de cette foule de péchés que produit le ventre, je suis venu ici de bien loin.

Le chasseur, en entendant ces paroles, fit cette réflexion : Voilà un mendiant doué d’une grande perfection de patience ; pourquoi le tuerais-je ? Cette pensée lui inspira des sentiments de bienveillance. C’est pourquoi Pûrṇa lui enseigna la Loi ; il lui apprit les formules de refuge et les préceptes de l’enseignement. Et il forma encore cinq cents autres novices de l’un et de l’autre sexe ; il fit élever cinq cents Vihâras, et y plaça par centaines des lits, des siéges, des tapis, des coussins ornés de figures, et des piédestaux carrés. Enfin, au bout de trois mois, le chasseur vit face à face la collection qui renferme les trois sciences, et il devint un Arhat. Alors recevant le nom de « Celui qui est affranchi des passions des trois mondes, » il devint de ceux que les Dêvas, accompagnés d’Indra et d’Upêndra, respectent, honorent et saluent.

Cependant peu de temps s’était écoulé, et la fortune des deux frères de Dârukarṇin avait diminué, s’était amoindrie, avait été dissipée. Ils allèrent donc tous deux dire [à leur aîné] : Maintenant qu’est sorti de notre maison celui qui ressemble à Kâlakarṇin[1], viens, vivons tous en commun. Quel est donc, répondit Bhavila, celui qui ressemble à Kâlakarṇin ? C’est Pûrṇa, reprirent-ils. C’est la prospérité même qui est sortie de ma maison, dit Bhavila ; ce n’est pas un homme qui ressemble à Kâlakarṇin. — Que ce soit la prospérité ou Kâlakarṇin, peu importe ; viens, et vivons en commun. Bhavila répondit : Votre fortune a été injustement gagnée, la mienne l’a été honnêtement ; non, je n’habiterai pas avec vous. C’est ce fils d’une esclave, reprirent les deux frères, qui à force de naviguer sur le grand Océan a gagné la fortune dont tu te vantes

  1. Ce nom de Kâlakarṇin est une épithète méprisante donnée par les deux derniers fils de Bhava à Pûrṇa le fils de l’esclave. Comme les frères se nommaient d’après leurs pendants d’oreilles, qui étaient de bois, de plomb et de laque, pour infliger à Pûrṇa un nom de mauvais augure, ils l’appellent « Celui qui a la mort pour pendant d’oreille. » Voilà pourquoi le frère aîné, qui le défend, répond qu’au contraire Pûrṇa est la prospérité même.