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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

cette tête, alla trouver le roi et lui raconta ce qui s’était passé. Les têtes de vaches, d’ânes, de béliers, de gazelles, d’oiseaux, lui dit-il, ont été achetées par l’un ou par l’autre pour de l’argent ; mais cette tête humaine est un objet sans valeur dont personne n’a voulu même pour rien. Alors le roi dit à son ministre : Pourquoi donc personne n’a-t-il voulu de cette tête humaine ? Parce que c’est un objet méprisable, répondit le ministre. Est-ce cette tête-là seule, reprit le roi, qui est méprisable, ou bien sont-ce toutes les têtes humaines ? Toutes les têtes humaines, dit Yaças. Eh quoi ! dit Açôka, est-ce que ma tête aussi est un objet méprisable ? Mais le ministre, retenu par la crainte, n’osa pas dire la vérité. Parle selon ta conscience, lui dit le roi. Eh bien ! oui, repartit le ministre. Le roi ayant de cette manière fait avouer à son ministre ce qu’il pensait, s’exprima en ces termes, en lui adressant ces stances :

Oui, c’est par suite d’un sentiment d’orgueil et d’enivrement, inspiré par la beauté et la puissance, que tu désires me détourner de me prosterner aux pieds des Religieux.

Et si ma tête, ce misérable objet dont personne ne voudrait pour rien, rencontrant une occasion de se purifier, acquiert quelque mérite, qu’y a-t-il là de contraire à l’ordre ?

Tu regardes la caste dans les Religieux de Çâkya, et tu ne vois pas les vertus qui sont cachées en eux ; c’est pourquoi, enflé par l’orgueil de la naissance, tu oublies dans ton erreur et toi-même et les autres.

On s’enquiert de la caste quand il s’agit d’une invitation ou d’un mariage, mais non quand il s’agit de la Loi, car ce sont les vertus qui font qu’on accomplit la Loi, et les vertus ne s’inquiètent pas de la caste.

Si le vice atteint un homme d’une haute naissance, cet homme est blâmé dans le monde ; comment donc les vertus qui honorent l’homme d’une basse extraction ne seraient-elles pas un objet de respect ?

C’est en considération de l’esprit que le corps des hommes est ou méprisé ou honoré. Les âmes des ascètes de Çâkya doivent donc être vénérées, car elles sont purifiées par Çâkya.

Si un homme régénéré par la seconde naissance est privé de vertu, on dit : C’est un pécheur, et on le méprise. On ne fait pas de même pour l’homme né d’une pauvre famille ; s’il a des vertus, on doit l’honorer en se prosternant devant lui.

Et le roi ajouta : Est-ce que tu n’as pas entendu cette parole du héros compatissant des Çâkyas : Les sages savent trouver de la valeur aux choses qui n’en ont pas, cette parole du maître véridique, qu’un esclave serait capable de comprendre ? Et si je désire exécuter ces commandements, ce n’est pas une preuve d’amitié de ta part que de m’en détourner.