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DU BUDDHISME INDIEN.

brâhmaniques, ainsi que je l’ai dit plus haut. On voit prendre part au dialogue des êtres surnaturels comme Krĭchṇapakchika, roi des Nâgas, lequel vient, sous la figure d’un Brâhmane, demander à Çâkya si, selon lui, il existe un autre monde. J’ajoute que le Saddharma Langkâvatâra possède, comme le Saddharma puṇḍarîka, un chapitre de formules magiques, nommées Dhâraṇîs, circonstance qui rattache jusqu’à un certain point ce livre à la classe des Tantras[1].

On voit qu’il n’y a rien d’historique dans cet ouvrage, et qu’on espérerait à tort s’en servir pour appuyer cette opinion des Singhalais, que Çâkyamuni vint à Ceylan, comme l’avaient fait, disent-ils, les Buddhas antérieurs, pour y prêcher la Loi[2]. Cette rencontre de Çâkya avec Râvaṇa n’est pas moins fabuleuse que l’existence du roi de Ceylan, que la tradition brâhmanique fait contemporain de Râma, c’est-à-dire d’un héros qui, s’il a jamais existé, a certainement précédé de plusieurs siècles Çâkyamuni le Buddha. Le Langkâvatâra me paraît un livre composé dans l’école, et à une époque où le Buddhisme avait atteint à son entier développement. J’en citerai pour preuve le morceau suivant où sont exposées les diverses opinions que se faisaient les diverses sectes des Buddhistes et des Brâhmanes, de ce but commun de leurs efforts et de leur enseignement, le Nirvâṇa.

« Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Mahâmati parla de nouveau à Bhagavat en ces termes : On dit, ô Bhagavat, le Nirvâṇa, le Nirvâṇa. Quelle est la chose que désigne ce nom de Nirvâṇa, sur laquelle raisonnent tous les Tîrthakaras ? Bhagavat dit : Écoute donc, Mahâmati, et grave bien et complètement mes paroles dans ton esprit : je vais te dire ce que c’est que le Nirvâṇa, conformément aux idées diverses que s’en font les Tîrthakaras. Bien, Bhagavat, répondit le Bôdhisattva Mahâmati, et il se mit à écouter. Bhagavat lui parla ainsi : « Il y a des Tîrthakaras, Mahâmati, qui définissent ainsi le Nirvâṇa, en disant que par la suppression des attributs intellectuels, des éléments et des sens, par

    les sages déifiés des Djâinas ; mais quoique cette dénomination puisse être empruntée à cette secte, ce qui n’a dû sans doute avoir lieu qu’à une époque assez moderne, je crois que dans nos textes buddhiques le mot de Tîrthakara est simplement synonyme de Tirthika et de Tîrthya, termes par lesquels on désigne tous les ascètes qui ne sont pas Buddhistes, et les mendiants brâhmaniques en particulier.

  1. Saddharma Langkâvatâra, f. 78 a et b.
  2. Après cette analyse du Langkâvatâra, je n’ai pas besoin d’avertir que je renonce au point de vue sous lequel M. Lassen et moi nous avions cru, il y a déjà longtemps, devoir considérer cet ouvrage. (Essai sur le pâli, p. 43.) On nous permettra de ne pas admettre davantage l’opinion d’un juge aux sentiments duquel je ne fais jamais difficulté de me soumettre ; ici, en effet, son opinion ne repose pas plus que celle que j’abandonne sur l’examen direct de l’ouvrage en question. (A. Rémusat, Nouv. Journ. Asiat., t. VII, p. 295.)