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DU BUDDHISME INDIEN.

l'examen des qualités et du sujet qui les supporte, tirent les idées qu’ils se font du Nirvâṇa de ces divers points de vue : que les qualités et le sujet sont un, qu’ils sont différents, qu’ils sont à la fois l’un et l’autre, et qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre à la fois. D’autres partant de cette vue, que la nature propre de chaque être lui vient de sa nature (Svabhâva) passant à l’état d’activité (Pravrĭtti), comme par exemple la variété des couleurs pour le paon, les pierres précieuses de diverses espèces pour les mines, la propriété d’être piquant pour les épines, se représentent le Nirvâṇa d’après cette idée. D’autres, Mahâmati, se représentent le Nirvâṇa comme résultant de la connaissance des vingt-cinq principes ; et d’autres, de l’acquisition de la science qui a six qualités et qui protége les hommes. D’autres partant de cette vue, que le temps est ce qui agit, se représentent le Nirvâṇa d’après la connaissance du principe suivant : L’existence du monde est dépendante du temps. D’autres, Mahâmati, se représentent le Nirvâṇa par l’existence ; d’autres par la connaissance de l’existence et de la non-existence ; d’autres par cette idée, qu’il n’y a pas de différence entre l’existence et le Nirvâṇa.

D’autres au contraire, ô Mahâmati, se le représentent comme il suit : faisant entendre le rugissement du lion que pousse celui qui a l’omniscience (le Buddha), c’est-à-dire ne reconnaissant rien que comme la conception de leur propre esprit[1], n’admettant ni l’existence ni la non-existence des objets extérieurs ; considérant [le Nirvâṇa] comme un lieu essentiellement privé de quatre côtés ; ne tombant pas dans les deux termes extrêmes de la réflexion appliquée à ce qui est visible à leur esprit, parce qu’ils ne voient ni l’objet à admettre, ni le sujet qui admet ; ne croyant pas que toutes les preuves, quelles qu’elles soient, puissent faire saisir un principe ; rejetant l’existence d’un principe, parce que le caractère illusoire de tout principe les conduit à n’en admettre aucun ; possédant chacun individuellement la Loi sublime ; reconnaissant la double non-existence d’un élément spirituel[2] ; ayant fait cesser les deux corruptions du mal ; ayant dissipé les deux espèces de ténèbres ; détachés de l’esprit, du cœur et de la connaissance que donne le cœur, par suite de la méditation profonde de l’image réfléchie par l’apparence illusoire qui est dans le rôle de Tathâgata, le plus élevé de tous[3] ; ces hommes se représentent le Nirvâṇa d’après ces idées.

  1. Ce passage me paraît s’expliquer par un autre texte du même ouvrage, f. 23 b : « Les trois mondes sont une pure conception de l'esprit ; ils sont privés de moi, de substance. »
  2. Ou peut-être, « reconnaissant qu’il y a deux choses qui n’ont pas de moi : nâirâtmya dvaya avabôdhât, » sans doute l’âme et le corps. Quand on n’a pas de commentaire, on n’est jamais sûr de pouvoir déterminer rigoureusement le sens de ces formules abstraites.
  3. Voilà un véritable galimatias philosophique, beaucoup de mots pour peu d’idées. Il me semble que cela veut dire que le rôle, c’est-à-dire la condition de Tathâgata, qui est la plus