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DU BUDDHISME INDIEN.

présents et futurs le comprennent chacun individuellement ; de là vient qu’il n’est pas interrompu. De plus, Mahâmati, le grand Nirvâṇa complet n’est ni la destruction ni la mort. Si le grand Nirvâṇa complet, ô Mahâmati, était la mort, après lui reviendrait la chaîne des renaissances. Si, d’autre part, c’était la destruction, il tomberait sous la définition d’un être composé. C’est pour cela que le grand Nirvâṇa complet n’est ni la destruction ni la mort. Les Yôgins le comprennent comme la mort non suivie du passage dans un autre monde[1]. Encore autre chose, Mahâmati : le Nirvâṇa s’appelle de ce nom, parce qu’il n’est ni enlevé ni acquis, ni interrompu ni éternel, ni identique ni divers. Encore autre chose, Mahâmati : le Nirvâṇa, pour les Çrâvakas et les Pratyêka Buddhas, n’est pas une idée résultant de la vue de caractères propres ou communs [qui appartiendraient au Nirvâṇa], ou de l’abstinence de toute vie active, ou de la considération du peu de réalité des objets[2]. »

Ce passage peut donner une idée de la méthode constamment suivie par le rédacteur de ce traité, méthode qui, nous l’avons vu, est également celle des Madhyamikas. De cette argumentation qui ne reconnaît d’autre autorité que celle de la logique, et qui s’en sert sophistiquement pour nier tout ce qu’on peut affirmer d’une chose quelconque, le oui et le non, il résulte un pyrrhonisme qui n’a d’exemple dans aucune des écoles brâhmaniques. Je le répète, et c’est par cette réflexion que je désire terminer cette analyse rapide des traités les plus considérables relatifs à la métaphysique du Buddhisme. Je ne puis croire qu’un tel livre, pas plus que les diverses rédactions de la Pradjñâ, nous donne la doctrine répandue plusieurs siècles avant notre ère par le solitaire de la race de Çâkya. Il n’y a pas de trace de ces théories radicalement négatives dans les premiers Sûtras, ou pour le dire plus exactement, ces théories n’y sont qu’en germe, et ce germe n’y est pas beaucoup plus développé qu’il ne l’est dans les écoles brâhmaniques, où, tout en contestant la réalité du monde extérieur, on admet son existence passagère, ainsi que l’existence permanente d’un esprit suprême, dont l’univers n’est qu’une sorte de manifestation visible.

Quelque danger qu’il y ait à formuler avec précision des opinions qu’il est si difficile de saisir à travers des textes encore aussi incomplètement connus que ceux du Népâl, je me figure que Çâkyamuni, en entrant dans la vie religieuse, partit des données que lui fournissaient les doctrines athées du Sam̃khya, lesquelles étaient en ontologie l’absence d’un Dieu, la multiplicité et l’éternité

  1. C’est-à-dire la mort véritable et dernière aux yeux d’un Indien, puisque pour lui ce que nous nommons la mort est le terme d’une existence donnée, laquelle doit être suivie de plusieurs autres existences et ainsi indéfiniment, d’après la loi de la transmigration.
  2. Saddharma Langkâvatâra, f. 29 a et b.