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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

des âmes humaines, et en physique l’existence d’une nature éternelle, douée de qualités, se transformant d’elle-même, et possédant les éléments des formes que revêt l’âme humaine dans le cours de son voyage à travers le monde. Çâkyamuni prit à cette doctrine l’idée qu’il n’y a pas de Dieu, ainsi que la théorie de la multiplicité des âmes humaines, celle de la transmigration, et celle du Nirvâṇa ou de la délivrance, laquelle appartenait en général à toutes les écoles brâhmaniques. Seulement, il n’est pas facile de voir aujourd’hui ce qu’il entendait par le Nirvâṇa, car il ne le définit nulle part. Mais comme il ne parle jamais de Dieu, le Nirvâṇa pour lui ne peut être l’absorption de l’âme individuelle au sein d’un Dieu universel, ainsi que le croyaient les Brâhmanes orthodoxes ; et comme il ne parle guère plus de la matière, son Nirvâṇa n’est pas non plus la dissolution de l’âme humaine au sein des éléments physiques. Le mot de vide, qui paraît déjà dans les monuments que tout nous prouve être les plus anciens, m’induit à penser que Çâkya vit le bien suprême dans l’anéantissement complet du principe pensant. Il se le représenta, ainsi que le fait supposer une comparaison répétée souvent, comme l’épuisement de la lumière d’une lampe qui s’éteint.

On a vu, par l’exposé que j’ai fait plus haut des douze causes de l’existence, quelle difficulté on éprouve à découvrir sa véritable opinion, non pas sur le passé de l’âme humaine, mais sur son origine même. L’âme de l’homme, selon lui, transmigre nécessairement à travers un nombre infini de formes ; celle du plus grand saint, celle d’un Buddha, qui va entrer dans le Nirvâṇa complet, a eu un passé immense de misère et de bonheur, de vertus et de crimes. Mais d’où vient cette multitude d’âmes individuelles que les Brâhmanes disaient sorties du sein de Brahma, et que les Sâm̃khyas croyaient distinctes et éternelles ? Çâkya ne le dit pas, autant du moins que j’ai pu le reconnaître ; et je suppose qu’il admettait avec les Sâm̃khyas qu’elles existaient de toute éternité. Car, il ne faut pas l’oublier, Çâkya n’a pu se séparer complètement du monde au milieu duquel il vivait ; et la société brâhmanique, au sein de laquelle il prit naissance, dut laisser sur son esprit l’empreinte profonde de ses enseignements. On en reconnaît notamment la trace dans la théorie tout à fait orthodoxe de la transmigration. Si donc sa doctrine nous paraît incomplète, si elle laisse pour nous dans l’ombre bien des problèmes, de la solution desquels elle ne semble pas s’être occupée, c’est que ces problèmes ne faisaient pas question pour lui, c’est qu’il ne contestait pas l’explication qu’on en avait donnée jusqu’alors. Envisagée de ce point de vue, sa doctrine se place en opposition au Brâhmanisme, comme une morale sans Dieu et comme un athéisme sans Nature. Ce qu’il nie, c’est le Dieu éternel des Brâhmanes, et la Nature éter-