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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

L’observation que je viens de faire nous mène directement à la seconde conséquence qui résulte de ma description générale des livres rangés sous la catégorie des Tantras. Cette conséquence, c’est que plusieurs de ces livres, au lieu de nous montrer des Buddhistes pratiquant ce qu’il y a de plus ridicule ou de plus monstrueux dans les cérémonies qui s’adressent aux Divinités çivaïtes, nous présentent ces Divinités promettant des charmes, des formules et l’appui de leur puissance redoutable à celui qui lit tel ou tel livre, qui honore telles ou telles reliques, et présente des offrandes à tel ou tel Buddha. Voilà, en ce qui touche l’alliance du Buddhisme avec le Çivaïsme, ce qui paraît de plus clair dans le Suvarṇa prabhâsa, tel que nous le possédons à Paris. Supprimez le fond de ce livre qui se compose d’une discussion sur la durée de la vie de Çâkya, et d’une légende où il est supposé avoir jadis livré son corps en pâture à une tigresse, vous n’y trouverez que les louanges du Suvarṇa prabhâsa chantées par des Divinités de tous genres, les unes brâhmaniques en général, les autres çivaïtes en particulier. J’en dis autant des chapitres admis dans les Mahâyâna sûtras, où figurent des formules magiques dites Mantras ou Dhâraṇîs ; ce sont des Divinités çivaïtes, ordinairement des Divinités femelles qui s’engagent à les communiquer à l’adorateur du Buddha, en lui assurant l’appui du terrible pouvoir que la superstition leur attribue.

C’est là, on le voit, un rapport nouveau du Buddhisme avec le Çivaïsme ; et si l’on veut qu’il y ait ici alliance des deux cultes, il faudra convenir que le traité n’a pas été conclu sur les mêmes bases que le précédent. Tandis que dans les Tantras pratiques le Buddhiste se fait Çivaïte autant que cela lui est possible, il reste Buddhiste dans les livres comme le Suvarṇa prabhâsa, ne demandant aux Divinités çivaïtes, pour prix de sa foi persévérante au Buddha, que leur protection et les charmes qu’elles possèdent. Et de plus, pendant que les Tantras proprement dits n’ont guère conservé le nom de Çâkya que pour en faire l’instituteur des rites qu’ils recommandent, la partie çivaïte des Mahâyâna sûtras conserve à Çâkyamuni son antique et incontestable supériorité sur les redoutables dispensateurs des charmes et des formules magiques.

Ici se présente dans toute sa justesse l’observation de M. Schmidt touchant le rapport des Divinités çivaïtes avec le Buddha, observation que M. Hodgson avait déjà faite de son côté, et que M. Wilson avait admise sans discussion[1]. M. Schmidt a bien vu que ces Divinités ne sont, suivant l’opinion des Buddhistes, que des êtres d’une puissance immense sans doute, si on les compare aux hommes, mais bien inférieure en réalité à celle du Buddha, qui leur confie la

  1. Asiat. Researches, t. XVI, p. 465, note 26.