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DU BUDDHISME INDIEN.

pas de plus célèbre que Nâgârdjuna, Religieux que j’ai déjà eu plus d’une occasion de citer. Je trouve dans la collection de M. Hodgson un livre de cet écrivain célèbre, qui est intitulé Pañtcha krama, et auquel se rapporte un commentaire ayant pour titre Pantcha krama ṭippanî : c’est un traité rédigé d’après les principes du Yoga tantra[1], et qui est exclusivement consacré à l’exposition des principales pratiques de l’école Tantrika. On y apprend à tracer des figures magiques nommées Mandalas, où paraissent les images des Buddhas, Bôdhisatvas et autres personnages fabuleux, comme Amitâbha, Akchôbhya, Vâirôtchana, Kchitigarbha, Khagarbha, Vadjrapâṇi, Lôkêça, Mandjughôcha, Samantabhadra, Sarvanivaraṇa vichkambhin, personnages qui, comme je l’ai dit, sont tout à fait inconnus aux Sûtras et aux légendes anciennes, et qui ne paraissent que dans les Sûtras développés et dans les Tantras. L’auteur y relève l’importance de maximes comme celle-ci : « Ma nature propre est celle du diamant de la science du vide, » ou « de la précieuse science du vide[2] ; » et c’est cette maxime même qu’on doit prononcer, quand on a tracé le diagramme dit de la vérité. Chacun de ces diagrammes, celui du soleil, par exemple, et des autres Divinités, a sa formule philosophique correspondante ; cette formule est toujours empruntée aux théories du nihilisme le plus absolu.

On le voit, toutes les idées sont mêlées dans cet ouvrage, qui indépendamment du nom d’auteur qu’il porte, appartient par son contenu même à l’époque où tous les éléments du Buddhisme étaient complètement développés. Ce qui y domine cependant, c’est la doctrine des Tantras, avec ses formules absurdes et ses monosyllabes inintelligibles. Il est difficile d’exprimer l’espèce de découragement qu’on éprouve à la lecture d’une telle composition. C’est quelque chose de triste que de voir des hommes graves proposer les syllabes et les mots les plus bizarres comme des moyens de salut et de perfection morale. Et quelle morale que celle de l’indifférence et d’un quiétisme si exagéré, que la distinction du juste et de l’injuste, du bien et du mal, n’existe plus pour celui qui y est parvenu ! Ce livre, en effet, conduit par degrés l’ascète à des énormités qui, j’en suis intimement convaincu, sont tout à fait étrangères au Buddhisme primitif. J’en citerai un seul exemple, emprunté au chapitre final, lequel traite de l’indifférence, à la pratique de laquelle doivent tendre tous les efforts de l’ascète. « : Pour l’ascète, un ennemi ou lui-même, sa femme ou sa fille, sa mère ou une prostituée tout cela est la même chose[3] ! » La plume se refuse à transcrire des doctrines aussi misérables, quant à la forme, qu’odieuses et dégradantes pour le fond. Au reste, tout

  1. Pañtcha krama, f. 15 b.
  2. Pañtcha krama, f. 4 a.
  3. Pañtcha krama, f. 33 b.