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de Tripitaka, on ne serait pas plus juste à l’égard du bouddhisme, si on le jugeait à ce seul point de vue, qu’on ne le serait pour le christianisme, si l’on négligeait l’action morale qu’il exerce depuis sa naissance. La théorie du nirvâna, dont on a fait la question bouddhique par excellence, n’intéressait pas le peuple, elle appartenait aux brâhmanes longtemps avant la venue de Çakya-mouni ; elle est donc secondaire[1]. Mais il n’en est pas de même des règles de mœurs introduites par le bouddhisme, de la pureté morale, de l’humilité et de la charité universelle, qui en sont les préceptes fondamentaux. Le succès qu’il a obtenu hors de l’Inde, chez les peuples jaunes et en Océanie, les longs rameaux qu’il a jetés vers l’Occident jusque dans le monde grec et, peut-être, par l’Océan oriental, jusque dans l’Amérique du Nord, ne s’expliquent que par la transformation morale qui émane de lui. Son expulsion hors de l’Inde a eu pour motif l’égalité qu’il établissait entre les brâhmanes et les autres castes, le droit qu’il donnait à tous les hommes d’aspirer à la fonction sacerdotale et d’y parvenir.

Du reste, toute la morale du bouddhisme provient de sa métaphysique, dont elle n’était qu’une application nouvelle. Cette métaphysique, c’est le panthéisme, conçu sous sa forme la plus complète et comprenant tous les êtres réels ou idéaux dans une hiérarchie où l’homme peut occuper des degrés différents selon sa science ou sa vertu. Ces deux qualités ne se sont point présentées ar-

  1. Nirvâna signifie extinction ; jwalam nirvâmi, j’éteins une flamme en soufflant dessus. Applique à l’homme, nirvâna peut être entendu comme l’anéantissement absolu de l’être ou comme l’anéantissement des conditions de l’existence individuelle. Dans ce dernier sens, il n’est autre que l’absorption en Dieu par l’extase ou par la mort ; dans le premier, c’est le néant propose comme terme de l’existence. Remarquons que l’idée de néant, aussi bien que celle de création, est étrangère à la pensée indienne, comme à toute doctrine fondée sur le principe de l’émanation.