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APPENDICE. — No VI.

faculté de la réflexion ; de la faculté de la réflexion procéda la connaissance ; de la connaissance procéda l’union de l’esprit et de la matière, ou de l’âme et du corps ; de cette union procédèrent les six sens ; des six sens procéda la faculté de la perception ; de la perception procéda la jouissance ; de la jouissance procéda le désir ardent ; du désir procéda la faculté de la génération ; de cette faculté procédèrent les divers états de l’existence, depuis les Dieux jusqu’aux plus petits reptiles. De l’existence procédèrent tous les accidents de la vie, et les accidents naturels comme la décrépitude, le chagrin, la maladie, la mort, la transmigration, etc.[1] » Chacun de ces articles mériterait sans doute un examen spécial ; je me contente, pour le moment, de renvoyer le lecteur aux explications que j’ai données des douze termes de cette énumération dans l’Introduction à l’histoire du Buddhisme[2]. Ce que je voulais uniquement établir ici, c’est que par le terme de pratîtya samutpâda les Buddhistes de Ceylan entendent exactement la même chose que ceux du Népâl. Enfin ce qui résulte de la comparaison du commentaire de Clough avec l’étymologie qu’il donne de pratîtya samutpâda, c’est que ce composé a, selon les Singhalais, la signification suivante : « la production complète de ce qui vient tour à tour, c’est-à-dire de ce qui se succède comme cause et effet, l’effet devenant cause à son tour. »

Le second témoignage que j’ai promis d’alléguer en faveur de cette opinion, que les Buddhistes du Sud envisagent le mot pratîtya de la même manière que ceux du Nord, m’est fourni par un passage du Nidâna vagga vaṇṇanâ, « Commentaire sur la section des Nidânas ou causes. » Ce commentaire précieux s’ouvre par un Sutta où figure le mot paṭitchtcha samuppâda, qui est, sous une forme pâlie, le terme même qui nous occupe. Voici comment le définit la glose pâlie qui accompagne le texte : Paṭitchtcha samuppâdanti patchtchayâkâram : patchtchayâkârôhi aññamaññam paṭitchtcha sahitê dhammê uppâdêti ; tasmâ paṭitchtcha samuppâdôti vutchtchati. « Le terme de paṭitchtcha samuppâda signifie formation des causes prochaines ; en effet la formation des causes prochaines produit des conditions qui sont mutuellement accompagnées de la cause prochaine l’une de l’autre ; c’est pour cela qu’on la nomme production de conditions qui sont successivement causes[3]. »

On comprend maintenant comment il est possible de traduire ce terme par « production des causes successives de l’existence. » L’idée de production est dans samutpâda ; celle de succession, et il faudrait ajouter celle de réciprocité, est dans pratîtya. Quant à la notion d’existence, elle est implicitement contenue dans le composé ; il me paraît nécessaire de l’exprimer d’une manière positive, car ces causes successives, ou, en termes plus généraux, ces conditions qui sont successivement et réciproquement effet et cause l’une de l’autre, sont, suivant la pensée des Buddhistes, l’origine unique et incessante de la situation des êtres vivants dans ce monde et dans l’autre, tant que ces êtres ne sont pas parvenus à s’affranchir par la science absolue et à obtenir le Nirvâṇa. C’est là, si je ne me trompe, le sens le plus général de cette expression ; et si tous les dogmes du Buddhisme étaient formulés sous des termes aussi clairs, nous posséderions bientôt l’intelligence complète de ce système à la fois vague et compliqué.

  1. Clough, Singhal. Diction. t. II, p. 435 et 436.
  2. Tom. I, p. 491 et suiv.
  3. Nidâna vagga, f. 3 a fin. de mon man.