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APPENDICE. — No VI

Je ne dois cependant pas omettre d’indiquer une autre explication qu’il serait possible de proposer pour le composé pratîtya samutpâda. Au premier abord on serait tenté d’y voir le mot pratîti, « notion, croyance, » pris en ce sens, que la croyance dont il s’agit est fausse, ou seulement admise par l’esprit, sans que pour cela l’existence de la réalité sur laquelle porte cette croyance soit aucunement prouvée. On couperait donc le composé de cette manière, pratîti asamutpâda ; et alors asamutpâda signifierait « la non-production. » Mais comme il ne peut y avoir de négation ici, il faut bien admettre avec les Buddhistes du Népâl et ceux de Ceylan que pratîtya, et non pratîti, forme la première partie du composé. Toutefois, ici encore, le sens généralement admis pour pratîti pourrait, ce me semble, s’appliquer à pratîtya ; et rien n’empêcherait qu’on ne traduisît l’expression pratîtya samutpâda de cette manière, « la production complète de ce qui a pour origine l’opinion, » c’est-à-dire la croyance erronée à la réalité des choses. C’est dans ce sens que paraît l’avoir entendu l’un des commentateurs de la Rakchâ bhagavatî des Népâlais, cité par M. Hodgson au nombre des autorités alléguées par lui en faveur de son exposé du Buddhisme ; voici les propres termes dont il se sert : The being of all things is derived front belief, reliance [pratyaya], in this order: from false knowledge, delusive impression, etc.[1] La suite donne l’énumération des douze causes citées plus haut d’après Clough, et sur lesquelles je vais rapporter un texte original. Ce qu’il importe de constater en ce moment, c’est que si le commentateur Népâlais qu’a cité M. Hodgson n’emploie pas le mot pratîtya, il s’est servi d’un terme qui en est bien voisin, je veux dire de pratyaya, qui a la même origine, c’est-à-dire qui vient comme pratîtya de la préposition prati jointe à un radical signifiant aller. Or si pratyaya, qui signifie cause prochaine, origine, a aussi le sens de croyance, opinion, confiance, ce dernier groupe de significations peut également appartenir au mot pratitya, auquel il semble bien difficile de refuser le sens de cause.

De toute manière cette dernière interprétation ne modifierait que très-peu la valeur de l’expression pratîtya samutpâda. Elle diffère de la première en ce sens seulement, que le pratîtya, et suivant le commentateur de M. Hodgson, le pratyaya, c’est-à-dire, « l’opinion, la croyance, la confiance, » en d’autres termes, la croyance à la réalité du monde, est la cause première du développement des douze conditions de l’énumération, tandis que, d’après la première explication, le pratyaya ou plutôt les pratyayas sont la dénomination commune de chacune de ces douze conditions, considérées comme effets et comme causes successives les unes des autres.

Je terminerai cette note par la traduction d’un sutta pâli du Digha nikâya, qui fera voir de quelle manière les Buddhistes du Sud se figurent que Çâkyamuni enseignait la doctrine de l’enchaînement successif des causes de l’existence. Il est intitulé dans mon manuscrit Mahânidâna sutta, « Le Sutta des grands nidânas ou causes[2]. « Je le donne dans son entier, et sans rien retrancher des répétitions qui, selon les habitudes de notre exposition européenne, en ralentissent singulièrement la marche : il m’a semblé que le lecteur ne serait pas fâché de juger par un exemple de plus de la méthode attribuée au fondateur du Buddhisme par ses premiers disciples.

  1. Hodgson, Quotat. dans Journ. as. Soc. of Beng. etc. t. V, p. 78.
  2. Dîgha nikâya, f. 78 a et suiv.