Page:Busoni - Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises, 1841.djvu/340

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Oh ! quelle mine atrabilaire !
Et comme il est armé ! … Bon Dieu ! que veut-il faire
De ces vilains ciseaux et de ce long croissant ? … »
Comme il disoit ces mots, le jardinier s’avance ;
Tout aussitôt, entrant dans le massif
Où croissoit son malheureux if :
« Allons, dit-il, allons, il faut que je commence
À tailler cet arbuste, il a pris sa croissance,
Et je vais l’ébrancher ; maintenant on le peut ;
Mais qu’en ferai-je ? Un sphinx, une chimère ?
(Car d’un esclave on fait tout ce qu’on veut).
Non, c’est un ours que j’en veux faire. »
En effet, ouvrant ses ciseaux,
Le jardinier, se mettant à l’ouvrage,
De l’if infortuné coupe tous les rameaux.
L’arbuste en vain gémit d’un si cruel outrage :
Sous la main des tyrans à quoi sert de gémir ?
Ne faut-il pas alors ou ployer ou périr ?
Du pauvre if tel fut le partage ;
On le mutile, on le saccage,
On lui ravit en un instant
Sa forme, sa beauté, son aspect élégant
Et la fraîcheur de son feuillage.
Malgré tout son dépit, par un charme fatal,
Il prend la figure sauvage
D’un stupide et lourd animal,
Et, d’un ours enchaîné bientôt offrant l’image,
Il excite à la fois, des passagers surpris,
Et la compassion et le juste mépris.

Ne nous étonnons point de la métamorphose,
Nous la voyons assez communément :
Un tyran ne fait autre chose,
Quand il le peut impunément.