Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/122

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laissa persuader, et la certitude qu’elle crut avoir de la tromperie du comte de Guiche fit qu’elle ne voulut point d’éclaircissement avec lui ; et pour ne pas tout rompre, elle voulut prévenir

    qu’il est des amis comme des richesses, que c’est en vain qu’on les acquiert si on ne les sait conserver. La conversation avec les personnes de distinction qui abordoient chez elle étoit tous ses délices. Elle écoutoit avec une attention qui débrouilloit toutes choses, et répondoit encore plus aux pensées qu’aux paroles de ceux qui l’interrogeoient. Quand elle considéroit un objet, elle en voyoit tous les côtez, le fort et le foible, et l’exprimoit en des termes vifs et concis, comme ces habiles dessinateurs qui en trois ou quatre coups de crayon font voir toute la perfection d’une figure.

    « On a recueilli plusieurs de ses bons mots, et plût à Dieu qu’on n’en eût perdu aucun ! C’est un méchant caractère que celui de diseur de bons mots, et ce caractère, si blâmable dans les hommes, l’est encore plus dans les femmes, à cause que les bons mots sont d’ordinaire accompagnés d’une liberté et d’une hardiesse qui ne sont pas séantes à ce sexe, parcequ’ils en obscurcissent la pudeur et la modestie, qui font ses plus beaux ornements. Mais madame de Cornuel, outre qu’il ne lui échappoit rien qui pût ni la faire rougir, ni faire rougir personne, disoit si à propos toutes choses, et revêtoit ses pensées de termes si propres et si agréables, qu’ils instruisoient toujours sans jamais blesser : de sorte que ces mots étoient bons en ce qu’ils étoient utiles, et plaisoient à tous ceux qui aiment une vérité bien dite.

    « D’ordinaire, les personnes de ce caractère, pour dire un bon mot, en hasardent cent de méchans, et l’expérience fait voir que les plus habiles dans ces jeux d’esprit n’en ont pas dit, en toute leur vie, deux douzaines de tout à fait bons. La raison qu’on en peut rendre, c’est que les bons mots sont des fruits qui viennent sans être cultivés. Tout d’un coup ils naissent, et tout d’un coup ils font leur effet, comme les éclairs. Ils surprennent autant ceux qui les disent que ceux qui les écoutent. Ce sont, pour ainsi dire, de petits libertins qui ne veulent dépendre que d’eux-mêmes. Quand on les cherche ils ne viennent pas, ou, s’ils viennent, c’est de mauvaise grâce, se faisant tirer à force, et se défigurant en se faisant tirer. A-t-on dit un bon mot, le plaisir et les louanges qu’on