Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/216

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des raisons les plus fortes et les plus apparentes, cette illustre compagnie se sépara. Or, comme naturellement nous aimons ce qui nous flatte, quoique la bienséance ne nous permette pas de le témoigner, nous nous défendons souvent d’une chose et la rejetons avec ardeur, lorsque nous la souhaitons le plus ; et plus l’esprit de l’homme est capable de connoître la valeur et le mérite d’une chose qu’on lui propose pour son avancement, plus il sent enflammer son désir à la possession.

M. le comte de Lauzun s’étoit retiré chez lui après avoir quitté ses amis, où il ne fut pas plus tôt arrivé que tout ce dialogue qu’on lui avoit fait sur Mademoiselle lui repassa dans l’esprit, et ce qu’il avoit rejeté comme fâcheux par le peu d’apparence qu’il y trouvoit lui parut un peu moins rude et plus facile. Et comme il a infiniment de l’esprit, et au dessus du commun, il commença à ne désespérer pas entièrement ; il y voyoit à la vérité beaucoup de difficulté, mais plus la chose lui paroissoit difficile, plus elle excitoit son courage, sachant bien que la plus grande gloire est attachée principalement aux plus grands obstacles. Il voyoit d’un côté une des plus grandes princesses de l’univers, qui avoit méprisé un grand nombre de rois et de souverains [1], comme si la

  1. La liste est longue des partis proposés à Mademoiselle et refusés par elle : la complaisance avec laquelle ses Mémoires énumèrent tour à tour tant de soupirants rappelle assez la fable du héron et se termine de même.
    D’abord la reine d’Angleterre veut lui persuader que le prince de Galles est amoureux d’elle ; mais elle se flatte d’épouser l’empereur : cette ambition, soutenue par Mazarin,