Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/251

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l’obliger à parler plus hardiment. Mais comme M. de Lauzun ne se croit pas encore assez avancé pour cela, il veut ménager toutes choses, afin de ne point bâtir, comme l’on fait souvent, sur du sable mouvant. Il continue cependant ses soins avec plus d’assiduité que jamais. Et cela est assez rare qu’ayant affaire à une princesse du rang de Mademoiselle, dont l’humeur fière étoit tout à fait à craindre, il n’a jamais rien perdu du libre accès qu’il trouva d’abord auprès de cette princesse ; au contraire, il s’y est insinué peu à peu, mais toujours de mieux en mieux, de sorte qu’elle le souffre, l’estime, et le traite plus obligeamment qu’elle n’a jamais fait homme, non pas même les plus grands princes qui ont soupiré pour elle. Elle fait plus, car il ne se met pas sitôt en devoir de prendre congé d’elle, quand il y est, qu’elle lui demande avec empressement quand elle le reverra. Il n’est point d’heure indue pour lui, et il lui est permis d’entrer chez elle à toute heure et à tous moments. Et je crois même que, si elle eût eu envie de lui faire quelque défense, ç’auroit été de ne point sortir d’avec elle que le moins qu’il lui seroit possible.

C’est de cette façon que M. le comte de Lauzun passoit agréablement mille doux moments tous les jours, à donner et recevoir d’innocents témoignages d’un amour caché et qu’il n’étoit pas encore temps de découvrir. Cependant le temps que Mademoiselle lui avoit dit qu’elle lui découvriroit sincèrement celui des hommes qu’elle aimeroit le plus étoit fort avancé, et M. de Lauzun comptoit les jours comme autant d’années. Enfin, le jour étant venu auquel