Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

état eût quelque rapport au sien : je ne balancerois pas à le couronner du fruit de ses faveurs ; mais il y a tant de disproportion entre Votre Majesté et moi que, quand même ma destinée me voudroit élever au trône que vous remplissez si dignement, je ne pourrois guère me promettre d’y terminer mes jours avec les mêmes agrémens que ceux que je pourrois y goûter en y entrant. Ainsi, Sire, je pense qu’il vous sera plus glorieux de donner un asile à une personne que vous dites aimer, dans un cloître, que de l’exposer dans le monde à mille dangers. Non pas que je le craigne, puisque je n’envisage, à parler sincèrement, que l’intérest de l’auteur de mon être, d’avec lequel je serois très fâchée de me séparer. Voilà, Sire, mes sentimens. Si ceux de Votre Majesté y sont opposés, je ne suis nullement envieuse des honneurs chimériques, lorsqu’il s’agira de les mériter au prix de la perte d’un bien qui est sans fin.

Cette lettre fut reçue du Roi si respectueusement, que la Reine, se trouvant à l’ouverture, ce qui étoit un fait exprès, lui demanda si c’étoit une de ses lettres qu’il venoit de recevoir. Il lui répondit, piqué de ce qu’elle l’avoit surprise, que « l’esprit d’une Mancini n’avoit pas moins de mérite qu’une reine », et se retira dans son cabinet pour faire la lecture de cette lettre. Mais quelle fut sa surprise quand il eut lu les premières lignes ajoutées ! Elle s’augmenta bien plus lorsqu’il s’arrêta à l’article du cloître. « Quoi ! disoit-il, ce que j’aime si tendrement, et ce qu’il y a de plus parfait au monde, voudroit se renfermer, et cela parce que je suis roi ! Non, elle n’en fera rien, car je la ferai reine, malgré tous ceux