Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/445

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de coutume, les veilles n’échauffassent son sang et ne rendissent la guérison plus difficile.

Cependant, quoiqu’elle ne voulût voir personne, comme elle se seroit beaucoup ennuyée d’être toute seule, elle permit à M. L’Avocat [1], maître des requêtes, qui lui disoit depuis longtemps qu’il l’aimoit sans en pouvoir tirer aucunes faveurs, de la venir voir. L’Avocat étoit fils d’un juif de la ville de Paris, qui, après avoir gagné deux millions de bien par ses usures, s’étoit laissé mourir de froid, de peur de donner de l’argent pour avoir un fagot. Sa mère étoit encore de race juive ; cependant, comme s’il n’eût pas été connu de tout Paris, il faisoit l’homme de qualité. On lui avoit mis une charge de robe sur le corps, comme on fait une selle à un cheval ; mais il étoit si peu capable de s’en acquitter, que tout le monde se moquoit de lui. Cela faisoit qu’il ne se plaisoit qu’avec les gens d’épée, à qui il servoit de divertissement. Il affectoit de paroître chasseur, quoiqu’il ne sût aucuns termes de l’art ; et quand il lui arrivoit de tirer un coup de

  1. M. L’Avocat, maître des requêtes, étoit fils de Nicolas L’Avocat de Sauveterre, maître des comptes, et de Marguerite Rouillé, et beau-frère d’Arnauld de Pomponne. — Saint-Simon en parle ainsi (II, p. 411, édit. Sautelet) : « Un bonhomme, mais fort ridicule, mourut en même temps (1700), ce fut un M. L’Avocat, maître des requêtes, frère de madame de Pomponne et de madame de Vins, qui avoit des bénéfices et beaucoup de biens, qui alloit partout, qui avoit eu toute sa vie la folie du beau monde, et de ne rien faire qu’être amoureux des plus belles et des plus hautes huppées, qui rioient de ses soupirs et lui faisoient des tours horribles. C’étoit, avec cela, un grand homme maigre, jaune comme un coing et qui l’avoit été toute sa vie, et qui, tout vieux qu’il étoit, vouloit encore être galant. »