Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/53

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qualité de Roi, mais il regardoit bien autrement celle d’amant. En effet, il parut si timide qu’il toucha plus que jamais un cœur qu’il avoit déjà assez blessé. Ce fut à Versailles, dans le parc, qu’il se plaignit que depuis dix ou douze jours sa santé n’étoit pas bonne. Mademoiselle de La Vallière parut affligée, et le lui témoigna avec beaucoup de tendresse. « Hélas ! que vous êtes bonne, Mademoiselle, lui dit-il, de vous intéresser à la santé d’un misérable prince qui n’a pas mérité une seule de vos plaintes, s’il n’étoit à vous autant qu’il est. Oui, Mademoiselle, continua-t-il avec un trouble qui charma la belle, vous êtes maîtresse absolue de ma vie, de ma mort et de mon repos, et vous pouvez tout pour ma fortune. » La Vallière rougit et fut si interdite qu’elle en demeura muette. Elle voyoit un grand Roi qu’elle aimoit à ses genoux, tout passionné : peut-on pas s’embarrasser à moins ? « À quoi attribuerai-je ce silence, Mademoiselle ? reprit-il. Ah ! c’est un effet de votre insensibilité et de mon malheur ; vous n’êtes pas si tendre que vous paroissez, et, si cela est, que je suis à plaindre vous adorant au point que je fais ! — Moi ! Sire, répliqua-t-elle avec assez de force, je ne suis point insensible à ce que vous ressentez pour moi, je vous en tiendrai compte dans mon cœur si c’est véritablement que vous m’aimez ; mais aussi, si, parceque l’on m’a voulu tourner en ridicule dans votre cœur à cause de l’estime particulière que j’ai eue pour votre personne, et qu’il semble que l’on ne doit regarder en un roi que sa couronne, son sceptre et son diadème, qu’il est presque défendu de le louer pour sa personne,