Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/71

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l’a toujours fortement aimée. C’est sa chère, et le Roi lui fait de grands présens. Il en use assez librement devant elle. Madame de Soissons, qui a été autrefois aimée du Roi, a supporté avec une étrange impatience la faveur de La Vallière, en sorte qu’un jour, la voyant passer devant une fille dont madame de Soissons fait ses délices, et qui est fille d’un avocat au Parlement nommé Brisac : « Je suis bien surprise, dit-elle fort haut à madame de Ventadour [1] ; j’avois toujours bien cru que La Vallière étoit boiteuse, mais je ne savois pas qu’elle fût aveugle. » La Vallière, qui l’entendit, sentit cela fort sensiblement. Le Roi l’alla voir, qui, la trouvant fort triste, lui demanda avec un empressement d’amitié ce qui l’affligeoit. Elle lui en dit le sujet avec les paroles du monde les plus piquantes pour madame de Soissons. Le Roi s’anima encore davantage, et sortit de chez elle avec un emportement épouvantable contre madame de Soissons. D’abord qu’il fut dans la rue, il fit appeler le Duc, qu’il fit monter dans son carrosse. Mais quand il y fut il ne lui dit rien, et descendirent au Louvre [2]. « Hé bien ! parce que j’aime une fille, il faut que toute la France la haïsse ! Mais ce n’est pas aux plaintes que je m’en veux tenir ;

  1. Ce nom se trouve dans l’édit. de Londres 1654. Marie de La Guiche, fille de Jean François de La Guiche, seigneur de Saint-Géran, née en 1623, avoit épousé en 1645 Charles de Levis, marquis d’Annonai, puis duc de Ventadour. Voy. notre édit. du Dictionn. des précieuses, Biblioth. elzév., t. 2, aux noms Angoulême et Saint-Géran.
  2. Nous empruntons à la copie de Conrart tout ce paragraphe. En le comparant au texte des éditions précédentes, on en reconnoîtra la supériorité.