Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/122

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rien à leur commerce. « Car enfin, ma chère, lui disoit-il, ce n’est que pour votre bien. Et ne croyez pas que je vous abandonne : non, j’abandonnerois plutôt tout mon bien, et trop heureux encore de vous posséder pour l’unique qui me resteroit ; ce n’est donc que pour votre fortune, et pour tenir nos intrigues plus à couvert. Si vous le jugez ainsi pour votre bien, nous ferons nos efforts pour l’attirer. » Elle convint de la force de ses raisons, et le remercia de ses bons soins, lui promettant de bien jouer son personnage pour attirer ce pigeon à son pigeonnier ; mais à bon chat bon rat.

Le marquis invitoit monsieur le juge souvent chez lui, il plaignoit avec lui la perte de sa femme, il le faisoit manger à sa table, et lui donnoit tout autant de marques d’amitié qu’on peut, sans que notre pauvre juge en sût la véritable cause. Guillemette l’entretenoit aussi souvent en particulier, quand Monsieur étoit empressé à d’autres compagnies. Jamais vestale ne marqua plus de prudence et de piété qu’elle en faisoit éclater dans ses discours et dans son maintien ; et qui ne l’auroit connue, l’auroit prise pour une seconde Lucrèce. Cependant le marquis sondoit peu à peu l’intention du juge sur un second mariage, et lui touchoit toujours quelque petite chose en passant, à quoi l’autre ne répondoit que fort ambigüement ; mais un jour notre marquis voulut s’en éclaircir plus à fond, et pour cet effet, après être sorti de table un jour qu’il y avoit dîné, il le mena promener dans un des parterres de son jardin, et lui dit : « Vous savez, monsieur le juge, l’estime que j’ai toujours faite de votre personne ; je vous