Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le cœur d’un si grand prince : on traiteroit Votre Majesté d’aveugle dans ce choix, et à moi on me donneroit un nom qui ne m’appartient pas. Enfin, Sire, outre mon âge avancé et mon peu d’attraits, Votre Majesté ne peut ignorer que je suis veuve ; ainsi, elle ne sauroit faire un choix marqué de tant d’imperfections sans s’attirer le mépris de tout le beau sexe.—Ah ! Mademoiselle, reprit le Roi, il ne faut pas tant chercher de détours pour faire un refus : je vois bien que c’en est un. Vous voulez donc que je mène une vie languissante ? Eh bien ! il faudra vous contenter et vous faire voir que, bien que je sois au-dessus du reste des hommes, j’ai pourtant un cœur susceptible pour les belles choses : j’appelle belles choses cet esprit brillant que l’on voit en vous, cette grandeur d’âme que vous faites paroître jusque dans les moindres choses, en un mot vos perfections, qui m’ont charmé. »

Il n’en dit pas davantage pour lors, et en sortant il lui fit une profonde révérence, et lui dit : « Songez, songez à ce que je vous ai dit, Mademoiselle. » Elle n’eut pas le temps d’y répondre, parce que le Roi entra chez la Montespan, où son chagrin ne lui permit pas de demeurer longtemps.

Lorsqu’il fut parti, mademoiselle Scarron repassa toute sa conversation dans son esprit : elle se représentoit la passion avec laquelle le Roi s’étoit exprimé, et ne douta plus qu’elle ne fût aimée. Elle prit néanmoins la résolution de dissimuler encore un peu, afin que son peu de résistance pût augmenter le désir du Roi ; en quoi elle réussit fort admirablement bien, car, ayant