Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/226

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dessein de se raccommoder, à quoi il étoit peut-être porté par l’utilité qu’il en retiroit, il continua sur le même ton qu’il avoit commencé, ce qui néanmoins ne lui servit de rien : car madame de Lionne, qui ne vouloit pas être gênée, et qui, après avoir fait banqueroute à la vertu, ne se soucioit plus de garder les apparences, lui dit que pour le faire enrager elle feroit un amant à sa barbe, et que plus elle verroit qu’il y prendroit de part plus elle y prendroit de plaisir. De Fiesque, après une réponse si rude, fut tellement outré de douleur qu’il prit un luth qui étoit dans sa chambre, avec quoi il avoit coutume de la divertir, et le cassa en mille pièces. Il lui dit que, puisqu’elle lui plongeoit ainsi le poignard dans le sein, il vouloit s’en venger sur cet instrument, qui lui avoit donné autrefois tant de plaisir ; que comme il se pourroit faire qu’elle choisiroit peut-être quelqu’un qui le touchât aussi bien que lui, du moins il étoit bien aise que tout ce qui lui avoit servi ne servît pas à un autre. Mais à peine eût-il lâché la parole qu’elle lui répondit, « que celui qu’elle choisiroit n’auroit pas besoin, comme lui, de s’animer par ces préludes ; qu’elle avoit feint plusieurs fois de prendre plaisir à ce jeu, parce qu’elle savoit que sans cela il n’y avoit rien à espérer avec lui, mais qu’elle n’en avoit pas moins pensé pour cela ; qu’il avoit bien fait de casser ce luth, parce qu’en le voyant elle n’auroit pu s’empêcher de se ressouvenir de sa foiblesse ; que maintenant que cet objet n’y étoit plus, rien ne pouvoit rappeler une idée si désagréable ; et qu’enfin il n’avoit fait en cela que prévenir le dessein qu’elle en avoit.