Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/227

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Comme un reproche en attire un autre, cette conversation, quelque désagréable qu’elle pût être, n’auroit pas fini si tôt, si le duc de Sault[1] ne fût entré. Il aperçut d’abord les débris du luth, ce qui lui fit juger qu’il y avoit quelque querelle sur le tapis. Son soupçon se convertit en certitude dès qu’il eut jeté ses yeux sur ces amants ; et comme il étoit libre de lui-même et qu’il se plaisoit à rire aux dépens d’autrui : « Madame, dit-il à madame de Lionne, à ce que je vois l’on n’est pas toujours bien ensemble, et l’un de vous deux s’est vengé sur ce pauvre luth, qui n’en pouvoit mais. Si c’est vous qui l’avez fait, continua-t-il, peut-être en avez-vous eu vos raisons, et je ne veux pas vous en blâmer ; mais si c’est notre ami, il a eu tous les torts du monde, et il n’a pas vécu jusqu’aujourd’hui sans savoir qu’on amuse souvent une femme avec peu de chose ; il devoit savoir, dis-je, que cela nous donne le temps de nous préparer à leur rendre service. »

Ce discours étoit assez intelligible pour offenser une femme délicate, ou même une qui ne l’auroit été que médiocrement. Mais madame de Lionne, qui trouvoit le duc de Sault à son gré, ne songea qu’à lui persuader qu’elle rompoit pour jamais avec le comte de Fiesque, afin que, si le

  1. Emmanuel-François de Bonne de Créqui, duc de Lesdiguières ; petit-fils du maréchal de Créqui, il étoit fils de Charles de Bonne de Créqui, gouverneur du Dauphiné, et de sa seconde femme Anne de La Magdelaine de Ragny. Le duc Emmanuel-François, connu sous le nom de comte de Sault jusqu’à la mort de son père, épousa, le 12 mars 1675, Paule-Françoise-Marguerite de Gondi de Retz, nièce du cardinal de Retz, et mourut en 1681.