Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/231

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dirai en deux mots que, si tu ne me sers auprès de la marquise de Cœuvres, je te desservirai si bien auprès d’elle qu’il n’y aura plus de retour pour toi. Ecoute, entre nous, je crois que mon gras de jambe et mes épaules larges commencent à lui plaire davantage que ton air dégagé et ta taille mince, et si elle en goûte une fois, c’est à toi à juger ce que tu deviendras. » Le comte de Fiesque le pria de parler sérieusement ; le duc de Saux lui dit qu’il le prît comme il le voudroit, mais qu’il lui disoit la vérité. L’autre étant obligé de le croire, après plusieurs serments qu’il lui en fit, il le conjura de ne pas courir sur son marché, lui avouant ingénuement qu’il l’aimoit par plusieurs raisons, c’est à dire parce qu’elle lui donnoit de l’argent et du plaisir. Si le comte de Fiesque eût fait cet aveu à un autre, il auroit couru risque d’exciter en lui des désirs plutôt que de les amortir, toute la jeunesse de la Cour s’étant mise sur le pied d’escroquer les dames ; mais le duc de Sault, qui étoit le plus généreux de tous les hommes, lui dit en même temps de dormir en repos sur l’article ; qu’il ne vouloit ni du corps ni de l’argent de madame de Lionne, et qu’excepté le plaisir qu’il pouvoit avoir de faire un ministre d’État cocu, il trouvoit que, quelque récompense qu’on lui pût donner, on le payoit encore moins qu’il le méritoit ; cependant, qu’il ne s’assurât pas tellement sur cette promesse qu’il négligeât le service qu’il attendoit de lui ; qu’on faisoit quelquefois par vengeance ce qu’on ne faisoit pas par amour ; qu’en un mot, s’il ne lui aidoit à le bien mettre avec la marquise de Cœuvres, il se mettroit bien avec la mère, et qu’après cela il lui