Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/25

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vous n’y êtes pas sensible ! — Ah ! reprit mademoiselle de Fontange, en poussant un soupir du fond du cœur, je la suis, et plus que vous ne pouvez vous l’imaginer. » En effet, la suite en fit bien connoître la vérité : car, l’excès de sa joie étant extraordinaire, elle tomba dans une foiblesse où, perdant l’usage de la parole, elle ne répondoit plus que par des regards languissans et par des soupirs que l’amour le plus tendre tiroit de son cœur. Aussitôt qu’elle fut revenue de cette syncope, elle se fit instruire particulièrement de la manière que le Roi avoit parlé. Madame D. L. M. lui apprit jusqu’aux moindres circonstances, et lui dit comment il s’y falloit prendre pour bien ménager ce commencement de bonne fortune. « Sachez, continua-t-elle, que tout dépend des premières démarches que vous ferez, et qu’il n’y a qu’elles seules qui puissent vous assurer d’une réussite avantageuse. L’expérience m’a donné un peu de connoissance dans ces sortes d’affaires ; c’est pourquoi, si vous me croyez, quand vous serez avec le Roi, qui étudiera bien toutes vos manières devant que de s’engager, accompagnez toutes vos paroles d’un air sage et modeste, qui ne tienne rien de la liberté des coquettes ; un peu de fierté mêlée avec de la douceur, si vous la ménagez bien, ne pourra produire qu’un bon effet : car il faut que vous sachiez qu’il y en a qui, pour s’être rendues avec trop de facilité, ont perdu leur fortune. Mademoiselle de Ludre[1], poursuivit-elle, peut vous servir d’exemple : son bonheur fut si

  1. Marie-Elisabeth de Ludres, chanoinesse de Poussay, tour à tour fille d’honneur de Madame Henriette, de la Reine et de la seconde Madame.