Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/278

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aller avertir son maître, à qui il ne savoit si son avis seroit agréable ou non. Pendant qu’il raisonnoit en lui-même sur ce qu’il devoit faire, le duc de Sault, qui étoit entré, tâchoit de se couler dans l’appartement de la marquise de Cœuvres, qui n’étoit pas éloigné de là ; mais il se sentit tout d’un coup arrêté par le bras, et celle qui l’arrêtoit étoit madame de Lionne, qui avoit donné rendez-vous au comte de Fiesque et qui croyoit que c’étoit lui. « Est-ce toi, lui dit-elle en même temps, mon cher comte ! Hé que tu as tardé à venir ! »

Le duc de Sault, qui reconnoissoit bien la voix de madame de Lionne, garda le silence ; ce qui la surprit, craignant qu’elle ne se fût méprise. Pour s’en éclaircir, elle lui jeta ses bras au col, et ayant senti qu’il étoit plus gros et plus gras que son ami, elle fit un grand cri, qui auroit réveillé toute la maison, si chacun, à la réserve du valet de chambre, n’eût été enseveli dans un profond sommeil. Le duc de Sault, qui avoit peur que son imprudence ne leur fît des affaires à tous deux, prit alors le parti de rompre le silence, ce qu’il fit en ces termes, mais le plus bas qu’il lui fut possible : « A quoi pensez-vous, Madame, lui dit-il, et n’avez-vous pas le jugement de voir que vous nous allez perdre ? S’il n’y avoit que mon intérêt qui me fît parler, je ne dirois rien, et me tirerois d’affaire comme je pourrois ; mais que dira votre mari, et, quelque excuse que vous puissiez chercher, ne croira-t-il pas que c’est vous qui m’avez fait venir ? »

Ces paroles, cette voix, qu’il lui fut facile de reconnoître, firent faire réflexion à madame de