Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/29

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présent, lui dit-elle, qu’il faut agir : il y auroit danger de tout perdre par le retardement, et il est temps de vous déclarer ; c’est pourquoi écrivez au Roi une lettre telle que l’amour vous l’inspirera. » Elle la fit aussitôt et la conçut dans ces termes :

Sire, bien que le peu de proportion qu’il y a entre un prince comme vous et une fille comme moi dût m’obliger à prendre plutôt le discours de Votre Majesté pour une galanterie que pour une sincère déclaration, néanmoins, s’il est vrai que les véritables amans connoissent en se voyant ce qui se passe de plus secret dans leur cœur, ce seroit en vain que je vous en voudrois plus longtemps cacher les sentimens. Oui, Sire, je vous l’avoue, le seul mérite de votre personne avoit déjà disposé de moi-même devant que Votre Majesté m’eût fait l’aveu de ses inclinations. Pardonnez-le-moi si j’ai combattu cette passion dès le moment de sa naissance : ce n’étoit pas par aucune répugnance que j’eusse à chérir ce qui me paroissoit si aimable, mais plutôt par la crainte que j’avois que mes yeux ou mes actions ne vous fissent connoître, à l’insu de mon cœur, ce qu’il ressentoit pour vous. Jugez, Sire, de la disposition où je suis par une confession si ingénue de ma foiblesse.

Je ne vous dirai point par qui la lettre fut portée ; quoi qu’il en soit, le Roi la reçut, il la lut, et il est difficile de trouver des termes pour vous exprimer son ravissement ; il répéta plusieurs fois ces dernières paroles : « Jugez de la disposition de mon cœur par une confession si ingénue de