Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/313

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qu’en conséquence des conseils qu’on lui avoit donnés, elle eut grand soin de l’entretenir de la maréchale, prenant pour prétexte qu’ayant une femme si recommandable en toutes choses, la passion qu’il avoit pour elle s’éteindroit bientôt. Le dessein de Beuvron et de la maréchale n’étoit pas qu’elle poussât les choses si loin, et ils lui avoient recommandé d’être sage ; mais voyant qu’ils avoient eu tort de compter sur une personne comme elle, ils ne virent pas plus tôt qu’elle avoit passé leur commandement, qu’ils eurent peur qu’au lieu d’en tirer le service qu’ils avoient prétendu, elle ne rendît leurs affaires pires en déclarant leur secret. Pour prévenir donc ce qui en pouvoit arriver, Beuvron la fit enlever un jour, et, de là, conduire à Rouen, d’où il la fit passer à l’Amérique[1].

Le maréchal fit grand bruit de son enlèvement, et l’attribua à la jalousie de sa femme, dont elle ne se défendit point. Cela les brouilla pendant quelque temps ; mais la fantaisie du maréchal étant passée, il se raccommoda avec elle, et l’amitié qu’il lui témoigna fut d’autant plus sincère qu’il croyoit qu’une femme qui étoit capable d’une si grande jalousie ne l’étoit pas de lui être infidèle. Par ce moyen elle regagna sa confiance, ce qui fit connoître au public, qui n’étoit pas aussi aisé à abuser que le maréchal, qu’une femme est capable d’apprivoiser les animaux les plus féroces. En effet, il souffrit non-seulement qu’elle vît le monde sous prétexte du jeu

  1. A chaque instant, sous le moindre prétexte, on faisoit partir pour l’Amérique les femmes publiques. (Voy. t. 2 pp. 123 et 136.)