Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/397

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fit monter, sans qu’on se doutât de rien, et il lui parla à l’oreille, comme s’il avoit eu quelque chose de particulier à lui dire. Après cela, il feignit de s’en retourner ; mais, au lieu de traverser la cour, il entra dans une salle basse, où il se mit à un coin jusqu’à ce que la duchesse se fût défaite adroitement de ses laquais, sous prétexte de message. Etant alors remontée en haut, elle le cacha dans un cabinet, où elle lui donna du pain et des confitures, de peur qu’il ne mourût de faim. Cependant on avoit emmené par son ordre le cheval sur lequel il étoit venu ; et le suisse, qui alloit et venoit dans la cour, s’imagina que le maître étoit sorti sans qu’il s’en fût aperçu. La duchesse eut grande impatience que la nuit fût venue pour contenter ses désirs amoureux, et encore plus le pauvre prisonnier, qui n’osoit presque se remuer. Elle arriva enfin, au grand contentement de l’un et de l’autre, et après que la duchesse fut au lit et que ses femmes se furent retirées, elle se releva pour lui aller ouvrir la porte. A peine lui donna-t-il le temps de se recoucher pour en venir aux prises ; ce qui lui plut extrêmement, étant persuadée que c’étoit là la plus grande marque d’amitié qu’un homme puisse donner à une femme.

Comme il vit que le jeu lui plaisoit, il fit tout son possible pour la contenter. Mais sur les quatre à cinq heures du matin, c’est-à-dire lorsqu’ils commençoient d’avoir envie de dormir tous deux, ils entendirent un carrosse à six chevaux s’arrêter à la porte, et l’on commença à heurter comme il faut. Elle jugea incontinent que c’étoit son mari et se crut perdue. Elle n’eut le temps