Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/509

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entre les mains d’un homme qui n’eût pas été marié, on eût pu croire à la cour qu’il auroit eu dessein pour elle ; mais le jeune prince ayant passé par dessus toute sorte de considération, il chargea le marquis de dire à la belle tout ce qu’il se sentoit pour elle de pressant.

Comme on vit à la cour dans une grande liberté, il ne lui fallut point prendre de grands détours pour s’acquitter de sa commission : il vit la demoiselle dès le même jour, et, lui ayant conté quelques douceurs sans lui dire de quelle part elles venoient, il en fut écouté si favorablement que, quand c’eût été pour lui qu’il eût parlé, il n’en auroit pu concevoir de plus grandes espérances. Cependant, ne jugeant pas à propos de lui faire un secret davantage de ce qui se passoit : « Je vous viens de dire bien des choses, Mademoiselle, lui dit-il, qu’il est impossible de ne pas sentir quand on vous voit ; mais que direz-vous quand je vous apprendrai qu’il me faut cependant étouffer tout cela en faveur d’un prince qui me charge de la plus difficile commission qui fut jamais, puisqu’il devroit savoir qu’on n’est pas plus insensible que lui ? »

La demoiselle, qui se douta dans ce moment que le prince dont il vouloit parler étoit monseigneur le Dauphin, se consola du changement, dont elle ne se seroit pas consolée facilement si c’eût été pour un autre. Elle lui demanda en même temps qui étoit ce prince, et, ayant su que c’étoit celui qu’elle soupçonnoit, elle lui dit sans faire beaucoup de façons qu’elle s’étoit déjà aperçue qu’il ne la haïssoit pas ; mais qu’il lui paroissoit dangereux de s’embarquer avec lui, parce que madame