Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/62

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grande tristesse du monde, et envoya dès le même jour ce billet au Roi :

Je ne puis, mon cher Prince, vous exprimer l’inquiétude où je suis. Puis-je apprendre de tous côtés le peu de soin que vous apportez à votre conservation sans trembler ? Au nom de Dieu, ménagez mieux une vie qui m’est plus chère que la mienne, si vous voulez me trouver à votre retour. Eh quoi ! votre courage n’est-il pas assez connu, aussi bien que votre adresse, pour vous exposer ainsi à de nouveaux dangers ? Pouvez-vous trouver le délassement des fatigues de la guerre dans un exercice si pénible et si périlleux ? Ah ! j’en tremble de peur ! Pardonnez, mon cher Prince, ces reproches, à l’ardeur de ma passion, et revenez si vous aimez et si vous voulez retirer de la crainte celle qui vous chérit si tendrement.

Il est aisé à connoître que l’étude a moins de part à cette lettre que le cœur ; l’on découvre d’abord que c’est lui qui parle, et il seroit difficile de le faire parler plus tendrement. Elle fut lue du roi avec des transports de joie qu’il seroit mal aisé d’exprimer ; il la baisa mille fois, et envoya aussitôt un exprès à sa maîtresse, avec cette réponse :

Non, ma chère enfant, ne craignez pas, le péril est passé, et je ne veux plus me conserver que pour vous seule. Je vous l’avoue, je ne suis pas excusable d’avoir cherché du plaisir dans des exercices que vous n’avez pas partagés avec moi ; mais pardonnez ces momens que j’ai donnés aux désirs de la gloire, et je