Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/67

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réserve, continua-t-elle, pour des divertissemens plus tranquilles, et je ne puis assez admirer celles qui ne peuvent goûter de plaisirs sans courir fortune de leur vie. » Elle lâcha cette parole sans prendre garde que Madame, qui étoit présente, est une des plus passionnées pour cet exercice. Aussi releva-t-elle hautement ce qui avoit été dit. « Je vois bien, reprit-elle en s’adressant à celle qui eût bien voulu retirer sa parole, je vois bien que les plaisirs de la ruelle vous toucheroient plus vivement que ceux qui se trouvent dans l’agitation : il faut des divertissemens paresseux et sédentaires à celles dont la foiblesse ne leur permet pas d’en prendre d’autres. » Madame la Dauphine fit changer l’entretien en parlant du bal que Sa Majesté donnoit le lendemain. Ce fut un des plus beaux de tous ceux qui ont paru auparavant ; tout y étoit pompeux et magnifique. Le Roi y dansa avec son adresse ordinaire ; mais ce qui surprit le plus, ce fut qu’il prit jusques à deux fois une jeune demoiselle et lui dit quelques galanteries fort obligeantes. Il fut le lendemain au lever de sa maîtresse ; mais il la trouva dans une tristesse et un abattement extraordinaires. Il témoigna bien du chagrin de la voir dans cet état ; il lui demanda fort tendrement quel en étoit le sujet. « Ah ! Sire, lui dit-elle en le regardant avec un air fort touchant, si votre personne étoit moins aimable, on auroit moins de tristesse ! » Il connut que c’étoit la jalousie qui causoit ce désordre ; il n’en fut pas fâché, car quand il aime il veut être aimé, et il n’y a rien qui l’engage si fortement que ces sortes de craintes, quand on les