Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/113

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autant qu’elle put. Quand le Roi vit qu’elle commençoit de se rendre, il la pria d’ôter son masque ; elle lui répondit qu’elle ne sauroit y consentir, qu’il perdroit lui-même beaucoup à cela, et que ce voile la rendoit plus hardie. Enfin, après mille petites façons, qui faisoient enrager le grand Alcandre, elle se laisse pencher doucement entre ses bras, et voulant toujours contrefaire une femme qui n’a jamais connu d’autre homme que son mari, elle se défend encore, mais foiblement ; et imitant les derniers abois d’une chasteté mourante, elle pousse un profond soupir, et tombe à demi-pâmée dans les bras de son amant. Le grand Alcandre ne se sentant plus lui-même, et transporté d’une joie extraordinaire de se voir, après tant d’écueils et tant de naufrages, arrivé heureusement au port, se prépare d’y entrer avec toute la force et toute l’ardeur de l’amant le plus passionné ; lorsque, par une funeste disgrâce, il se vit arrêté tout court :

Près de goûter mille délices,
Ce triste et malheureux amant
Vit changer son contentement
En de très-rigoureux supplices.

Un trop grand excès d’amour, un transport de joie, trop de précipitation, ou peut-être une trop longue attente, l’ardeur, le désir de bien faire, la crainte d’échouer, une grande dissipation d’esprits, et je ne sais quelle constellation maligne qui présidoit sur son amour, troublèrent tellement le grand Alcandre, qu’il ne se connut plus lui-même, et, sur le point de se voir le plus heureux de tous les amants, il tomba dans la plus cruelle disgrâce qui puisse