Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/125

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sa cour ; il se contenta de dire, qu’il auroit été bien aise de satisfaire sa curiosité là-dessus, mais que, puisque la personne qui avoit emprunté la forme de la comtesse, n’osoit pas paroître devant elle, il n’en falloit pas parler davantage. Après cela, tout le monde se retira pour aller prendre quelque repos.

Il est facile de juger que le Roi n’en prit guère de toute la nuit. Il étoit en peine de découvrir ce fantôme qui l’avoit trompé, et qui, sous la vaine apparence de celle qui le faisoit mourir d’amour, l’avoit fait jouir d’un bonheur imaginaire. Mais son plus grand chagrin étoit de ne posséder pas la comtesse, comme il l’avoit cru, et d’être toujours à recommencer avec elle. — « Quoi, dans le temps que je me croyois le plus heureux de tous les amants, disoit-il en lui-même, je me trouve plus malheureux que jamais, et je me laisse duper de la manière du monde la plus honteuse ! Mais duper par une femme, moi qui les ai tant pratiquées ! » Puis se fâchant contre soi-même : « C’est moi, disoit-il, c’est moi qui ai été ma propre dupe, en donnant si aisément dans un panneau qui flattoit ma passion pour la comtesse. Si je pouvois au moins jouir de mon erreur, et être heureux en idée ! mais tout conspire[1] ma perte ; et lorsque je me flatte d’avoir eu entre mes bras la plus charmante beauté du monde, on me détrompe de la manière la plus cruelle. Fut-il jamais un amant

  1. Conspirer étoit alors employé comme verbe actif ou comme verbe neutre ; on disoit également bien : conspirer la mort de quelqu’un, conspirer à la fortune de quelqu’un et conspirer contre quelqu’un. (Furetière.)