Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/21

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Le Roi fut charmé d’entendre raisonner si bien le duc de La Feuillade, qui n’étoit pas moins versé dans les matières d’amour, qu’il étoit expert dans l’art militaire. Dès lors il ne songea plus qu’à faire sa déclaration dans les formes, et qu’à se servir de tous les moyens que l’amour peut suggérer, pour parvenir au but où tendent tous les amants. Mais ce premier pas, qui semble si facile, et que ce prince ne comptoit pour rien dans toutes ses autres amours, ne fut pas tout comme il avoit cru. Ce n’est pas que l’occasion ne s’en présentât assez souvent ; mais la crainte le retenoit, et c’est peut-être la seule fois que ce monarque a senti cette passion qui est inconnue aux grands courages. Vingt fois il voulut ouvrir la bouche pour parler de son amour à cette comtesse, et vingt fois sa langue fut comme retenue par un frein qu’il n’eut jamais la force de rompre. Il rencontroit toujours les yeux et le front de cette comtesse, où la vertu paroissoit armée de cette sévérité qui imprime du respect aux plus grands monarques ; et quand il la vouloit jeter sur des matières de tendresse, pour parler ensuite de la sienne, ce silence froid et austère qu’elle savoit si bien observer rompoit tout-à-coup cet entretien, empêchoit le Roi de le poursuivre, et lui en faisoit chercher un autre qui fût plus du goût de celle à qui il craignoit toujours de déplaire.

C’est une chose qui est peut-être sans exemple, qu’un amant passionné, et surtout un Roi, qui ose tout, ait trouvé tant d’occasions de déclarer son amour, et en ait su si peu profiter. Mais