Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/22

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comme j’ai dit, cette comtesse les éludoit avec tant de dextérité, prenant son air grave et sérieux, que le Roi ne savoit comment s’y prendre. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que, sans avoir recours à la fuite, qui est la ressource ordinaire de celles qui veulent éviter de semblables entretiens, elle n’affectoit pas de se dérober de la présence du Roi ; elle alloit son train ordinaire ; que le Roi se trouvât ou ne se trouvât pas dans les lieux où elle étoit, elle ne faisoit sa visite ni plus courte ni plus longue qu’elle l’avoit résolu. Elle ne vouloit pas même que le Roi crût qu’elle évitoit sa rencontre, de peur qu’il ne regardât cette fuite comme une marque de sa foiblesse, ou de la crainte qu’elle avoit de succomber à l’amour de ce grand Monarque. Il sembloit tout au contraire qu’elle affectât de lui faire voir qu’elle avoit assez de vertu pour résister à toutes ses vaines poursuites.

Enfin, elle vivoit avec lui de telle manière, que, quoiqu’il ne pût jamais se satisfaire en lui parlant de ce qu’il avoit dans le cœur, il n’avoit pas sujet de se plaindre d’elle. Tous ses discours étoient sages, retenus, et même obligeants ; elle louoit sur tout les vertus du Roi d’une manière si engageante que ce prince ne pût jamais se résoudre à lui donner une espèce de démenti, en lui parlant d’une chose qui alloit contre son devoir. En sorte qu’au lieu d’une maîtresse que le Roi croyoit trouver, il rencontroit une gouvernante, qui lui faisoit des leçons de sagesse, d’honneur, de justice, de probité, et de toutes les vertus ; mais d’une manière dont il ne pouvoit s’offenser, puisque tout cela étoit assaisonné