Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les plus hardis, qui refroidit les plus ardents, qui amollit les plus forts sur le point de jouir de leurs amours et les en rend tout-à-fait incapables : il arrivoit au Roi quelque chose de semblable toutes les fois qu’il étoit sur le point de se déclarer à madame de L…; non pas qu’il fût au cas dont nous venons de parler, il en étoit bien éloigné ; mais il éprouvoit le même charme à l’égard de sa langue ; lorsqu’il vouloit essayer d’expliquer ses sentiments et de parler de son amour, il sentoit d’abord sa langue liée et son esprit comme perclus. Enfin il se trouvoit dans le même état où étoit Didon, et que Virgile nous décrit si bien dans le quatrième livre de son Enéïde ; cette reine, qui n’aimoit pas moins Enée que notre Roi aimoit la comtesse, n’avoit jamais la force ni la hardiesse de le dire à ce prince Troyen. Dès qu’elle commençoit de lui parler de son amour, sa voix mouroit dans sa bouche.

Incipit effari, mediaque in voce resistit ;

c’est-à-dire, suivant la traduction de M. de Segrais,

Au milieu d’un discours, sa langue embarrassée
Refuse sa parole à sa triste pensée.

Mais cette passion est trop violente pour pouvoir en demeurer là ; Didon s’expliqua enfin, et le Roi fit connoître ouvertement son amour à la Comtesse. Il crut néanmoins qu’il ne devoit pas s’exposer lui-même aux premiers transports de colère qu’il savoit bien qu’elle feroit éclater. Il choisit le duc de La Feuillade, qu’il avoit déjà fait son confident, pour essuyer pour lui cette