Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et de m’interdire même la grâce que vous m’aurez accordée, de vous voir et de vous parler de mon amour ? »

La comtesse trouvoit cette proposition assez raisonnable ; mais cela n’empêchoit pas que l’exécution ne lui en parût difficile pour le Roi, et l’essai périlleux pour elle. Cependant elle n’osoit trop le témoigner, de peur que ce prince ne la soupçonnât de quelque foiblesse dont il pourroit tirer avantage. Elle voulut donc lui laisser croire qu’elle avoit assez de vertu pour se défendre de ses poursuites, quand même il les voudroit pousser trop loin ; mais elle prit un autre tour pour détourner le Roi de ce dessein où il persistoit toujours. Elle dit à ce monarque que, bien qu’elle pût s’assurer de sa discrétion, et qu’elle ne craignît rien de sa propre vertu, elle avoit le monde à ménager ; qu’on ne manqueroit pas de mal interpréter les visites d’un grand roi à une simple comtesse ; que de quelque manière qu’il la vit, ou chez elle ou ailleurs, on ne manqueroit pas de le remarquer et de faire là-dessus des réflexions qui lui seroient désavantageuses ; et qu’enfin le Roi, venant à bout de toutes les dames qu’il entreprenoit, s’il en falloit croire le bruit commun, elle se voyoit perdue de réputation, si le Roi persistoit dans son dessein. — « Laissez parler le monde, lui dit le Roi, croyez-vous vous mettre à couvert de la médisance, de quelque manière que vous viviez ? Les mauvaises langues n’épargnent personne ; la vertu même ne peut pas se garantir de leurs traits ; ainsi ne ménageons point un monde qui nous ménage si peu ; faisons seulement