Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/46

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au lieu de m’obliger ; je ne vous demande ni cette vie qui m’est plus chère que la mienne, ni cet honneur qui vous est plus cher que la vie, et que vous croyez être l’unique objet de mes prétentions ; je ne veux que vous voir, vous aimer, et vous le dire. — Eh ! de quoi vous peut servir cette vue ? lui dit la comtesse ; pourquoi voulez-vous entretenir une passion dont vous n’espérez aucun fruit ? A quoi bon un entretien qui ne fera que troubler votre repos et me rendre malheureuse ? — Ah ! que vous savez peu, Madame, lui dit le Roi, en la regardant avec des yeux qui marquoient toute sa tendresse, que vous savez peu ce qui se passe dans le cœur des vrais amants ! Une parole, un souris, un regard, la plus petite chose, un rien les contente, lorsque ce rien vient de la part de leur maîtresse. Ne me demandez donc plus quel fruit je prétends retirer de votre vue et de votre conversation ; et n’est-ce pas beaucoup pour un amant que de voir et d’entretenir sa maîtresse ? — Mais un amant en peut-il demeurer là ? reprit la comtesse. Ne sait-on pas qu’ils ne sont jamais satisfaits ; que, quand ils ont une chose, ils en veulent obtenir une autre ? Au nom de Dieu, Sire, ne me mettez pas, et ne vous mettez pas vous-même à une si cruelle épreuve. — Ce que vous dites-là, dit le Roi, ne se voit que dans les passions ordinaires, et quand on aime des beautés communes ; mais vous ne devez rien craindre de semblable ; et quand vous le craindriez, et que je serois assez téméraire pour prétendre quelque chose au-delà de ce que je vous demande, n’êtes-vous pas toujours en droit de me la refuser,