Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout endormie. C’étoit dans les plus grandes chaleurs de l’été ; et ses filles, voyant leur maîtresse qui reposoit, prirent ce temps pour s’écarter un petit moment. Cette charmante personne étoit étendue négligemment sur ce lit ; elle étoit seule dans sa chambre, et on auroit dit que tout cela s’étoit fait de concert, pour donner le moyen au Roi de surprendre une place qu’il n’osoit attaquer ouvertement. Son cœur fut agité de mille différentes pensées ; il craignoit et il désiroit tout à la fois. Il ne savoit s’il se contenteroit de regarder sa maîtresse qui dormoit si tranquillement. Il ne savoit s’il ne devoit lui dérober un baiser et profiter d’une occasion si favorable, qui peut-être ne reviendroit jamais ; d’un autre côté, il craignoit de l’offenser, et que la comtesse venant à s’éveiller ne lui pardonnât jamais cet attentat, et lui défendît absolument de la voir.

Il étoit dans cette cruelle incertitude, lorsque la gorge de cette belle comtesse venant à se découvrir par quelque mouvement qu’elle fit en dormant, acheva de le déterminer, et n’écoutant plus que l’excès de sa passion, il posa ses mains sur ces deux boules de neige, et les baisa trois ou quatre fois de sa bouche royale. La comtesse, qui sentit d’abord cet attouchement dans une partie si délicate, s’éveilla en sursaut et fit un grand cri ; et voyant que c’étoit le Roi, et que ses filles s’en étoient allées, elle crut qu’on l’avoit trahie, et qu’on vouloit la prostituer à ce monarque. Cette pensée lui fit tant d’horreur, qu’elle ne put s’empêcher de le témoigner : — « Allez, lui dit-elle, monstre exécrable,