Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/72

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avoit vu cet honneur presqu’aux abois, et, sans ce moment fatal qui fit faire quelque réflexion à la comtesse, il alloit être le plus heureux de tous les amants. Enfin, on peut dire que l’amour du Roi augmentoit par toutes ces difficultés, et que la gloire et l’ambition, dont il est si fort touché, s’y mêloient en quelque sorte. Il se faisoit une espèce d’honneur de triompher de la plus vertueuse dame de son siècle ; il se figuroit mille secrètes douceurs qu’il n’avoit jamais goûtées avec ses autres maîtresses, et il se promettoit des plaisirs infinis dans une jouissance qui lui auroit tant coûté.

Cela fait bien voir que les plaisirs des amants ne sont que dans l’imagination, et que, selon que cette imagination agit, ces plaisirs sont plus ou moins grands ; et comme cette faculté de notre âme supplée au défaut des sens, pour grossir les objets que les sens n’aperçoivent pas, celle du Roi pouvoit agir dans toute son étendue par l’extrême sévérité de sa maîtresse, et son imagination, lui représentant des plaisirs que ses sens n’avoient jamais goûtés avec elle, les lui figuroit beaucoup plus grands ; et tout cela, comme j’ai dit, le rendoit plus amoureux.

En ce temps-là, le Roi et la comtesse tombèrent malades presque en même temps[1]. Le Roi fut attaqué d’une grosse fièvre, qui lui fut causée par sa passion, et par la grande agitation qu’il s’étoit donnée le jour de cette chasse ; et

  1. Le Journal de la santé du Roi pour les années 1672, 1673, 1674, ne parle que de ses maladies ordinaires d’estomac, de ses étourdissements et de ses vapeurs : maladies fréquentes et qui demandoient de grands soins.