Page:Byron - Œuvres complètes, trad. Laroche, III.djvu/11

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m’arrête et me condamne à vivre, si toutefois c’est vivre que de porter en moi cette stérilité de cœur, et d’être le sépulcre de mon âme ; car j’ai cessé de me justifier à moi-meme mes propres actions, — derniere infirmité du mal. (Un aigle passe devant lui.)

Oui, toi qui fends les nuages d’une aile rapide, dont le vol fortuné s’élève le plus haut vers les cieux, tu fais bien de m’approcher de si près, — je devrais être ta proie, et servir de pâture à tes aiglons ; tu t’éloignes à une distance ou mon œil ne peut te suivre ; mais le tien, en bas, en haut, devant, pénètre à travers l’espace. — Oh ! que c’est beau ! Comme tout est beau dans ce monde visible ! comme il est magnifique en lui-même et dans son action ! Mais nous, qui nous nommons ses souverains, nous, moitié poussière, moitié dieux, également incapables de descendre ou de monter, avec notre essence mixte nous jetons le trouble dans ses éléments, nous aspirons le souffle de la dégradation et de l’orgueil, luttant contre de vils besoins et des désirs superbes, jusqu’à ce qu’enfin notre mortalité prédomine, et les hommes deviennent ce qu’ils ne s’avouent pas à eux-mêmes, ce qu’ils n’osent se confier les uns aux autres. (On entend de loin la flûte d’un berger.)

Quelle est cette mélodie que j’entends ? C’est la musique naturelle du chalumeau des montagnes, — car ici la vie patriarcale n’est pas une fable pastorale ; — dans l’air de la liberté la flûte mêle ses sons au doux bruit des clochettes du troupeau bondissant ; mon âme voudrait boire ces vibrations. — Oh ! si je pouvais être l’âme invisible d’un son délectable, une voix vivante, un souffle harmonieux ; une jouissance incorporelle, — naître et mourir avec l’intonation fortunée qui m’aurait créé !

(Un chasseur de chamois arrive en gravissant la montagne.)

Le chass. C’est par ici que le chamois a bondi, ses pieds agiles ont trompé mon adresse ; mes profits d’aujourd’hui ne paieront pas mes fatigues périlleuses. — Que vois-je ? Cet homme n’est pas de notre profession, et cependant il est arrivé à une hauteur qu’entre tous nos montagnards nos meilleurs chasseurs pourraient seuls atteindre ; il est bien vêtu ;