Page:Byron - Œuvres complètes, trad. Laroche, III.djvu/12

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son aspect est mâle, et à en juger d’ici, il y a dans son air toute la fierté d’un paysan né libre. — Approchons-nous de lui.

Manf. (sans le voir). Se voir blanchir par la douleur comme ces pins flétris, ruines d’un seul hiver, sans écorce, sans branches, troncs foudroyés sur une racine maudite, qui ne sert qu’à donner le sentiment à la destruction ! Être ainsi, éternellement ainsi, — et avoir été autrement ! Voir son front sillonné par des rides qu’y ont creusées non les années, — mais des moments, — des heures de tortures qui ont été des siècles, — des heures auxquelles je survis ! — Ô vous, rochers de glace ! avalanches qu’il suffit d’un souffle pour précipiter comme des montagnes croulantes, venez, et écrasez-moi ! J’entends fréquemment au-dessus de ma tête et à mes pieds le fracas de vos bonds redoutables ; mais vous passez sans m’atteindre ; vous allez tomber sur des êtres qui veulent vivre encore, sur la jeune forêt au verdoyant feuillage, sur la cabane ou le hameau du villageois inoffensif.

Le chass. Les brouillards commencent à s’élever du sein de la vallée ; je vais l’avertir de descendre, sans quoi il pourrait bien lui arriver de perdre tout à la fois et sa route et la vie.

Manf. Les brouillards bouillonnent autour des glaciers ; les nuages se levent au-dessus de moi en flocons blancs et sulfureux, comme l’écume sur les flots irrités de la mer infernale, dont chaque vague va se briser sur un rivage peuplé où sont entassés les damnés comme les cailloux sur la grève. — Un vertige me saisit.

Le chass. Il faut que je l’aborde avec précaution quand je serai près de lui ; le bruit soudain de mes pas peut le faire tressaillir, et il semble chanceler déjà.

Manf. On a vu des montagnes tomber, laissant un vide dans les nuages, faisant tressaillir sous le choc les Alpes leurs sons, remplissant les vertes vallées des débris de leur chute, faisant jaillir soudainement les rivières, dispersant leurs eaux en poussière liquide, et obligeant leurs sources a se tracer un nouveau cours ; — c’est ce qui est advenu, dans sa vieillesse, au mont Rosembera ; — que n’étais-je dessous !

Le chass. Mon ami ! prends garde, un pas de plus peut t’