Page:Cérésole - En vue de l’Himalaya.djvu/72

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et ils sont devenus peu à peu des représentants de la classe la plus odieuse de zamindars : les zamindars « religieux » qui ont un temple privé dont les sonnettes résonnent plusieurs fois par jour pour honorer la divinité, mais qui sont gras à lard, — lourds et aussi peu spirituels que possible, au milieu d’un peuple de coolies maigres et affamés. Le jeune « Mohant » actuel qui nous a reçu dans sa cour encombrée par les gerbes de riz, était un jeune homme sans intérêt particulier, d’ailleurs en procès avec un autre moine qui prétendait être le véritable héritier désigné par le précédent Mohant : vulgaire question de gros sous, où la transmigration d’âmes, même d’âmes très vulgaires, n’a rien du tout à voir.

Dans la cour de ce Mohant se trouvaient effectivement avec leurs grands airs de vieux nobles, bêtes et crasseux, les cinq chameaux accroupis, nez horizontal, lèvre inférieure pendant de façon méprisante… Je pense qu’un chameau peut être proprement étrillé comme un cheval ; — ceux-là avaient des écailles de crasse.

Dans l’espoir de trouver une vague justification à ces existences déconcertantes de Sadhous sur chameaux, je demande à P. si on ne peut pas les considérer du moins comme des montreurs de ménagerie. P. repousse cette circonstance atténuante. Le chameau qu’on rencontre tous les pas à Bénarès est encore beaucoup trop fréquent ici pour présenter au public un intérêt de curiosité. Il y a seulement que ce peuple hindou est simple, trop candide, trop ignorant sans doute (trop bon aussi), trop prêt à donner à qui le lui demande une part du peu, du misérable peu qu’il a, pour exiger que ces paresseux montés sur bosse soient obligés, sous peine de mourir de faim, d’en descendre et de s’armer du kodari et du tukri pour gagner leur riz…