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pierre cérésole

eeiKobé. — Derrière la barrière de la ménagerie, les femmes parées, dorées, enrubannées, attendent qu’un homme vienne donner son argent pour avoir le droit de les prendre ; un vieux Japonais, propriétaire, fait l’article : « Jolies femmes, bière, etc. » Là-bas au fond, dans une maison plus fermée, de nouveau elles attendent ; le commerce semble languir ce soir ; elles sont en rang, elles sont enrubannées, il y a des azalées fleuris dans la maison.

On peut voir ça sous l’angle horrible, — c’est le plus évident ; on peut essayer de le voir sous l’angle heureux : la joie de la vie ; mais il n’y en a qu’un bien léger morceau, et de qualité atroce, et cette joie n’est pas même sincère chez le vieux qui propose avec un air alléchant ces femmes et sa bière ; et elle est nulle chez ces femmes elles-mêmes. Vision horrible.

Et jamais mieux qu’en présence de ce spectacle infâme, la vieille voix hindoue : « C’est toi-même », ne s’est fait entendre. C’est étrange : toute cette réalité, c’est moi ; je suis là-bas derrière les grilles en bois, en papier, à demi-éclairées ; maisons à plusieurs étages, jardin d’azalées, écrans dorés, vieilles araignées postées au coin, femmes rangées là : tout ça, c’est la prolongation de ma personne, c’est une manifestation du même être auquel je tiens par mes racines. Ces femmes déjà épaisses qui ont l’air de se réjouir encore, tout ça, c’est ma réalité. C’est aussi celle du plus saint des évêques de l’Église d’Angleterre, du Pape, c’est notre réalité ; si ce n’était pas ainsi, cela n’apparaîtrait pas. C’est l’expression de l’être profond, de l’éternel, encore mal arrangé ; c’est moi… un miroir… un symbole.

Éternel, accepter.

Mais ce qu’il y a d’étrange, c’est que ce monde tel qu’il est, avec ces bordels, ces dorures, cette infamie, je ne l’échangerais pour rien au monde contre un paradis arrangé par des ministres du saint évangile, ou des curés.