Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/121

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Le père a chômé tout l’hiver, l’œil hagard, enfiévré, il attend les gros sous du petit pour acheter du pain.

Celui-là sera battu, s’il rentre les mains vides. Plusieurs, après avoir vainement attendu la clientèle, se coucheront sans souper, sur l’unique grabat, où grouille une nichetée affamée ! À combien de drames de la misère, inconnus et navrants se trouvent mêlés ces humbles héros, dont les yeux ont déjà des regards d’homme et les lèvres, des sourires de désillusionnés.

Ah ! vous n’avez pas honte d’arracher l’argent de ces enfants, quand les banquiers, les capitalistes, les boursiers, les rentiers, étalent en plein soleil leur luxe insolent, sans augmenter d’un sou le trésor civique.

Taxez donc le dollar avant le paria et vous aurez assurément mérité de l’humanité !

Si vous semez le vent, vous récolterez la tempête. En fermant le chemin du travail à l’enfance, vous lui ouvrez l’antre du vice.

Les petits désœuvrés d’aujourd’hui, sont les voleurs de demain. L’œil louche, la main furtive, ces gamins se faufileront parmi la foule et subtiliseront les bourses, et les belles breloques qui dansent sur l’imposant bedon des majestueux édiles. Faux boiteux, faux bossus, faux mendiants, les anciens petits cireurs de bottes, la larme à l’œil, l’air rechigné, tenteront de vous extorquer des sous en exploitant votre sensibilité.

Ô homme raisonnable, faut-il qu’à l’instar du roi des eaux, tu fasses ta pâture du menu fretin !

Les gros monsieurs cireurs de bottes, qui gagnent vingt-cinq à trente piastres par semaine, auront chaise enseigne, boîte et attirail complet sur une grande rue. Ceux-là paieront leur taxe et sans peine. Mais le petit peuple barbouillé, à la grimace espiègle, à la repartie piquante est déjà chose du passé, comme les ramoneurs et les chanteurs de guignolée.