Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/123

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« Il est bien heureux, soupirent en chœur les voisines accourues consoler (?) la famille. Il ne changerait pas sa place pour la nôtre ! »

Et petit Paul, qui ne se doute pas encore du grand mystère, planant dans ce boudoir, tendu de mousseline, comme une chambre virginale, petit Paul, un bambin de quatre ans nous amène par la main, l’air ravi.

— « Tu sais nous avons un bébé de mort !… Il se hausse sur ses petits pieds, et plonge curieusement ses regards dans le cercueil. Avec la cruauté de l’innocence, il pose mille questions ingénues, qui font sourire et pleurer : Quand donc Bébé, va-t-il s’éveiller ? Pourquoi le mettre dans cette boîte ? Tu pleures, maman, parce que le bon Dieu a posé de belles grandes ailes d’or à Bébé. Qu’est-ce qu’il fait au ciel, est-ce que le p’tit Jésus va lui donner des bonbons et des joujoux ?

Et, je regardais la flamme vacillante des cierges se refléter sur ce front glacé, désespérant comme le sphinx. Pourquoi ces lèvres ne s’ouvrent-elles pas pour répondre aux mille points d’interrogation de la torturante énigme ? Naître, mon Dieu, pour mourir si tôt ? J’entendais comme un écho des voix de femmes : « Il est bien heureux ! » Et, je ne sais pourquoi une voix intérieure protestait contre cette consolante utopie… Qu’a fait cet enfant, pour décrocher d’un premier coup la timbale du paradis ?… Nulle ride n’a troublé la limpidité de cette âme qui n’a réfléchi encore que des choses charmantes : le sourire de la mère, s’encadrant dans les rideaux de la couche douillette, la romance, chantée d’une voix doucement voilée, le mouvement rythmé du berceau qui apaisait ses pleurs comme le balancement des branches endort les petits oiseaux dans leurs nids. Tu n’as pas appris le sens du mot souffrance, les craintes, les appréhensions de la mort, les affres de l’agonie, le déchirement des adieux…