Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/171

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un panache, semant des étincelles dans l’air. La maison en feu !… la femme et les petits qui lui tendent leurs bras désespérés ! Il les voit, enlinceulés de flamme, tomber dans le brasier, comme des charbons de chair humaine. S’élancer à leur secours, il n’en a pas le temps, il se sauve sans regarder, comme Loth fuyant Sodome embrasée.

Non, sa douleur l’illusionne, ce n’est pas sa chaumière qui brûle, mais celle du voisin. Chez lui, la femme et les enfants éperdus, frissonnants, regardent flamber la maison amie ; des carreaux, la flamme jaillit en gros tourbillons. Les cris des animaux mourants se mêlent aux craquements des murs qui s’écroulent. Tout à coup, au détour du chemin, dans une lueur rapide de baïonnettes, apparaissent des soldats rouges comme des Méphistophélès. Ils s’arrêtent hésitants en face de la maison, et sautent à bas de leur monture, ayant peine à se tenir, oscillant de droite à gauche. À grands coups de crosse de fusil ils frappent à la porte, faisant trembler les vitres ; les petits plus morts que vifs se blottissent dans les coins, tandis que le fils aîné, lentement, sans dire un mot, détache de la muraille un vieux fusil.

— Que veux-tu faire, demande la mère toute pâle.

— Venger mon père !

— Ouvrez ! au nom de la Reine !

— Je t’en prie, sauve-toi, dit la mère, en lui arrachant l’arme des mains.

— Allez-vous ouvrir ! rugissent les soudards.

La mère ne dit rien, mais elle darde sur son fils un regard si chargé de tendresse et de douleur, que vaincu le gars baisse la tête et disparaît dans la cheminée.

Refoulant ses larmes et ses angoisses, la pauvre femme trouve la force de fixer un sourire sur sa figure défaite